Voilà 10 ans que le duo de plasticiens Monkeybird investit les murs du monde entier de sa technique monumentale à base de pochoirs. À l’Arsenal, l’exposition Rêveries oubliées permet de s’immerger dans son univers gorgé de symboliques et de références.
Il est désormais coutume, l’été approchant, de partir à la rencontre de l’art urbain sur les murs de la galerie de l’Arsenal. Les liens les plus flagrants avec la culture hip hop y dominaient jusque là les propositions avec pertinence. Indissociable du street art de ces 50 dernières années, l’art du pochoir y trouvait encore peu de place. La commissaire d’exposition Myriama Idir, qui a programmé East Block Party de 2009 à 2019, a souhaité rompre avec les expositions collectives pour se pencher sur une discipline qui trouve ses fondations bien au-delà du siècle passé. En invitant Monkeybird, dont la notoriété des installations monumentales (souvent de plus de 20m de haut) a largement dépassé nos frontières, mais qui pour autant entretient une relation indéfectible avec l’artisanat. Bien loin des représentations saturées de couleur que l’on se fait habituellement du street art.
Ne citent-ils pas Diderot et son “Je marche entre deux éternités”, pour décrire Monkeybird ? « Nous marchons entre deux mondes » révèle Edouard Egéa, l’un des deux bordelais « un équilibre entre l’intelligence corporelle du singe et celle du cœur pour l’oiseau. »
Leur signature ? Des pochoirs blancs sur fond noir, dans un jeu de contrastes et de profondeur de champ souvent réhaussé d’or, qui suscitent autant l’émerveillement que l’intérêt pour les symboles et les références à l’histoire. Celle de l’art, de l’architecture, des mathématiques ou de la philosophie. « Notre posture est singulière dans l’univers du street art. » explique Louis Boidron, complément du duo. « Pour notre démarche purement artisanale – nos pochoirs sont découpés au scalpel et non au laser, le muralisme de notre approche d’investissement de l’espace urbain, ou notre volonté de dépasser les années 90 pour remonter aux sources du pochoir, au XIXe siècle anglais. »
Tout en proposant un pont entre le travail en atelier, celui destiné à des expositions renvoyant aux enluminures et son aspect urbain accessible au plus grand nombre, l’exposition permet de s’immerger dans un large panel de leurs modes d’intervention et processus de création. La peinture sur bois grâce à laquelle le duo entretient une réflexion sur la durabilité de l’œuvre tout en récupérant et assemblant des pièces de mobilier ancien – une manière de garantir aussi son caractère unique. Mais aussi différentes techniques d’édition d’image comme la sérigraphie, la lithographie ou la gravure sur cuivre.
Le plus impressionnant résidant dans les gigantesques lés de pochoirs peints en noir traversés par la lumière, dans une sorte de réinterprétation du vitrail. D’une fresque encore inédite aux éléments d’une autre, impressionnante, réalisée il y a peu à Abou d’Abi (2 fois 24 m de large sur plus de 4m de haut)
Chez eux, l’inspiration croise la coïncidence, entre nécessité visuelle et références. Tout part du dessin après une phase de recherches autour de la thématique. Une somme d’informations digérée et réinterprétée librement au crayon, dans un souci très poussé du détail et de la finition.
De là à croire que rien n’est laissé au hasard… « Nous intervenons dans l’espace pour enrichir tout le monde, à la croisée de l’intelligible et du sensible plutôt que d’imposer une lecture, dans une forme de nostalgie intemporelle. »
Un film vient clore l’écrin de cette somptueuse exposition, où on peut les observer à l’oeuvre, dans l’atelier comme sur d’immenses murs. Il se clôt sur une autre citation, de Walter Benjamin cette fois : “La connaissance ne vient que dans des éclairs. Le texte est le tonnerre roulant longtemps après.”
Jusqu’au 18 septembre à l’Arsenal, dans le cadre de Constellation