ÉDITO
« Nous raffolons des catastrophes et des coups tordus – même Sartre et Beauvoir lisaient Détective »
La nomination d’une femme à Matignon nous renvoie à la pionnière du genre, il y a trente ans, Édith Cresson. En 1991, elle ouvre un chemin mais essuie les plâtres d’une situation inédite, considérée par nombre de ses petits camarades et chers collègues comme une anomalie ou une provocation. Avant d’attraper ce poste-clé de la République, Édith Cresson dirige quatre grands ministères, dont l’Agriculture en 1981. Là, elle subit les outrances d’un syndicat jugeant majoritairement le portefeuille réservé à un mâle. Arrivée dans une réunion de la FNSEA, le très puissant syndicat agricole, Édith Cresson découvre une banderole : « Édith, on t’espère meilleure au lit qu’au ministère ». La ministre encaisse et lâche : « Ça tombe bien, je suis ministre de l’Agriculture et je m’occupe aussi des porcs ». Pas sympa pour les porcs, ces bêtes si finaudes et sensibles, mais passons. En 1981, tout le monde ou presque se bidonne. Aujourd’hui, une telle injure sexiste créerait un tollé. Signe, parmi d’autres, que la société évolue. Pas assez vite, oui, mais elle évolue. Observons par ailleurs, sur les dernières 48 heures, la composition des couvertures de magazines et ouvertures des JT : globalement du glauque. Pas beaucoup de unes, peut-être aucune, sur ces deux faits à classer dans le répertoire encourageant et stimulant. D’abord, ce « coup de tonnerre » à l’école d’ingénieurs AgroParisTech : lors de la cérémonie de remise des diplômes, quelques lauréats ont dénoncé « une formation qui pousse à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours ». Une poignée d’étudiants, certes, huit exactement. Huit, quoi qu’on pense de la valeur de leurs arguments, qui ouvrent eux aussi un chemin et révèlent qu’il n’est pas fou de croire que tout n’est pas foutu. Ces huit rejoignent ces six autres, sortis de la plus réputée des écoles de commerce, HEC, déclinant les très gros salaires des banques d’affaires pour s’investir dans des start-up ou des associations « en accord avec leurs convictions écologiques ». S’ils n’optaient pas pour le coup d’éclat, la parole de ces quatorze étudiants demeurait dans les entrefilets de nos canards. Ce qui ouvre un autre débat dans ce nouveau monde pas tout à fait neuf, où la tambouille des mauvaises nouvelles couvre le parfum des bonnes. Sans abuser, regardons-nous un peu le nombril : nous raffolons des catastrophes et des coups tordus – même Sartre et Beauvoir lisaient Détective ! – et désormais tout ce qui fait bruit fait scandale et fait recette, donc les unes des médias. Ouvrons les fenêtres.