Dans le monde du foot et des supporters, Bertrand Hutin est une légende. Lorsqu’il assiste à son premier match, Metz-Bordeaux en 1947, il fréquente le collège Saint-Clément de Metz. Le jeune homme balade ses quinze ans sur les ruines de l’après-guerre. « Depuis, j’ai toujours été accroché par le FC Metz et je n’ai jamais loupé un match, sauf lorsque j’ai été appelé en Algérie. Je suis complètement tombé amoureux de ce club ». À 90 ans (le même âge que le FC Metz…), le plus ancien supporter des Grenats tapisse toujours sa chambre de souvenirs du club, la fidélité aux footballeurs messins enflamme à tout jamais… ce Nancéien.
Surprenant Monsieur Hutin. Fan de foot maniant l’humour en virtuose : « Oh ben quand j’assiste à un derby Metz-Nancy à Marcel-Picot [le stade de l’ASNL], je dis que je suis né à Nancy ». Un éclat de rire ferme la vanne. En vrai, à Picot comme à Saint-Symphorien ou ailleurs, il ne fait pas mystère de son addiction pour le FC Metz. Qu’il se soigne ? N’y pensez même pas. Il s’amuse d’avoir refilé le virus à son fils, sa fille et ses petits-enfants.
L’histoire d’amour avec le FC Metz démarre sur un hasard. Bertrand Hutin naît en 1932 dans une famille d’agriculteurs, fromagers et patrons de presse meusiens et bretons, « sortes de Citizen Kane chrétiens-démocrates »1. Le père et l’oncle de Bertrand, Henri et Paul Hutin, codirigent dans les années vingt L’Echo de l’est, Paul bâtissant puis dirigeant à partir de 1944 l’empire Ouest France.
La grand-mère de Bertrand fonde la première fromagerie, Hutin-Gillard, en 1886 dans la Meuse, « malgré l’avis contraire de son époux, Louis-Auguste Hutin, homme de terre. C’est Madame Caroline Hutin, née Gillard, mère de treize enfants, qui prendra l’initiative de fabriquer du fromage avec le lait de la ferme, le but étant d’apporter des ressources complémentaires à la famille et de donner ainsi une instruction supérieure aux enfants »2. Sur les treize gamins, sept deviennent fromagers, dont Henri, le père de Bertrand, à Lacroix-sur-Meuse. Son entreprise porte l’enseigne Spécialités de Brie Supérieur et ses marques phares étiquettent Le Brie qui plaît ou Le super3.
Chez les Hutin, la petite histoire croise la grande, souvent. Henri Hutin combat pendant la Première Guerre mondiale sous les ordres du capitaine de Gaulle. À son retour, il crée la fromagerie de Lacroix puis se fait élire maire de 1929 à 1977. Le même de Gaulle, recevant désormais du Mon Général ou du Monsieur le Président, stoppe sa DS en 1961 à Lacroix, chez Henri. Bertrand, 33 ans, déjà accro au FC Metz, travaille dans l’entreprise familiale et dirige notamment l’élevage de 250 truies : « Il existait beaucoup de fromageries en Meuse et pour écouler leurs sous-produits laitiers, elles élevaient des porcs, c’était une formule assez classique ».
Retour en 1946. Bertrand Hutin entre au collège Saint-Clément, à Metz : « Là, j’ai d’abord fréquenté Saint-Eloi, le stade du collège. Et à un moment, les copains m’ont dit : au lieu d’aller se promener à Saint-Eloi, on devrait aller à Saint-Symphorien voir le FC Metz. Je n’y connaissais rien, j’y suis allé. Le premier match auquel j’assiste voit s’affronter Metz et Bordeaux, je me souviens très bien du but de Baillot, il était le premier international de Metz après la Libération ».
Une drôle d’époque, brassée de joies et de doutes, où tout est à reconstruire y compris le club de foot : « Dès la libération de Metz, le pari un peu fou, il faut bien le reconnaître, est lancé par Raymond Herlory. Avec une poignée de fidèles, il décide, dans les semaines qui suivent, de lancer le FCM à la poursuite de son passé. Tâche immense au demeurant car il ne reste rien, les troupes allemandes ayant tout saccagé avant leur départ. Quant aux joueurs, ils ont soit pris de l’âge soit perdu la foi. Qu’importe ! En mars 1945, le FC Metz reprend vie avec sur le maillot, cette croix de Lorraine, symbole choisi par le général de Gaulle, et que le club mosellan fut le seul à pouvoir porter par la suite »4.
Après Saint-Clément, Bertrand Hutin entre à l’école d’agriculture de Sainte-Maure, dans l’Aube, et continue de courir les tribunes. Il soutient Troyes, « sauf quand Troyes jouait contre Metz ». La fibre messine déjà musclée. À tel point que Bertrand fait irruption avec gourmandise dans la rivalité Metz-Nancy, s’en tenant à ça quand il en parle : « Oh, Nancy, ne m’en parlez pas ! », complété par son épouse Jacqueline : « Il faut dire que Bertrand est plus triste quand Nancy gagne que quand Metz perd ». Il opine, « c’est vrai », quatre fois. Jacqueline : « Il y a même un petit restaurant où il ne veut pas mettre les pieds parce qu’ils supportent Nancy ». Bertrand : « Ça va mieux maintenant mais c’est vrai qu’il y a une époque où il ne fallait pas trop me parler de Nancy. J’ai toujours soutenu et suivi Metz. Il m’arrive même d’aller les voir jouer à l’extérieur, à Lens, Lille, Rennes, Reims. Ce qu’il y a de très particulier chez les Messins, c’est l’amour de leur club. C’est un public fidèle ». Le pape des supporters sait de quoi il cause.
L’esprit de famille
Demandez à Bertrand Hutin son plus mauvais souvenir, la réponse est nette et fuse, c’est « quand ils ont viré Carlo » (Carlo Molinari redeviendra président du FC Metz quelques années plus tard). Pour les bons souvenirs, la réponse prend un air plus printanier, une dégaine de longue balade dans le temps, un inventaire à la Prévert. Il collectionne les bons souvenirs comme les centaines d’objets posés, punaisés dans sa chambre à coucher, fanions, billets de match, affiches et même un jeu de société spécial FC Metz, sur le modèle du Trivial Poursuit. « La finale de la coupe de France en 1984 est un souvenir extraordinaire. Parmi les joueurs qui m’ont marqué, il y en a beaucoup dans les débuts, Antoine Gorius, Henri Baillot, Henri Nock. À cette époque, on avait la possibilité d’aller voir les joueurs à la sortie des vestiaires, on pouvait parler avec eux, certains sont même devenus des amis comme le capitaine Claude Dosdat, venu de nombreuses fois à Lacroix-sur-Meuse. Toute l’équipe est d’ailleurs venue ici passer une journée magnifique. Carlo est venu aussi. C’était une autre époque, c’était plus une famille ».