Maintes flammes embrasent son feu et crépitent en mélodie. Toutes racontent l’histoire d’un homme uni, qui « ne sait faire que ça ». Directeur du conservatoire de musique et de danse de Marly, enseignant, arrangeur, chef d’orchestre, compositeur, pianiste, clarinettiste à l’Harmonie de Metz, jadis à l’orchestre de l’opéra, Ferdinand Bistocchi pêche les sources de sa passion (dévorante) autour de ses souches italiennes et au cœur d’une culture musicale familiale.Depuis l’enfance, il entretient cet enthousiasme avec une pratique constante et un besoin d’éclectisme. Il résume ainsi son credo : « Je ne suis pas un snob, je respecte tous les genres ».
À la question, classique, « et vos maîtres, vos préférences ? », il répond d’un silence et s’embarque dans les secrets du temps qui passe et lasse : « C’est vrai que tous les musiciens ont des maîtres qui les ont inspirés et qui, souvent, continuent tout au long de leur carrière de les inspirer. Mais cela varie selon les périodes de la vie. Personnellement, j’ai adoré la musique romantique, puis la musique plus classique, j’adore maintenant le XXe siècle. C’est évident, les goûts changent avec le temps, mais il y a des compositeurs ou des interprètes qui marquent profondément et durablement, pas forcément des clarinettistes en ce qui me concerne, je ne suis pas focalisé sur mon instrument »… ni sur la musique en grandes pompes. Il raffole de la variété et de la chanson à texte. Celle de Jacques Brel, particulièrement, dont les Marquises a gravé un jalon dans son esprit, la marque de la relativité et de la longueur du temps. Si les Marquisiens « parlent de la mort comme tu parles d’un fruit [et] regardent la mer comme tu regardes un puits », Ferdinand Bistocchi fait l’éloge de la musique comme on célèbre un moment de communion, simple et joyeux. Ni mondanité, ni élitisme. Il se décrit « exigeant mais indulgent » et son approche de l’enseignement musical et de la gestion du Conservatoire marlien adhère à la théorie du partage : « Ici, c’est un Conservatoire municipal, comptant une quinzaine de professeurs, archi-talentueux, dont certains enseignent aussi au Conservatoire de Metz. Nos élèves, que nous accueillons dès l’âge de quatre ans, et leurs parents aiment l’esprit chaleureux et familial qui règne. C’est un peu ça qui nous caractérise, on connaît chaque élève, on est très attentifs à chacun. Une deuxième chose caractérise cette école, c’est la musique d’ensemble. Pour moi, c’est un peu la base. On ne fait pas de la musique pour être seul. Dès que je suis arrivé, j’ai voulu favoriser les groupes, et ça va des tout petits ensembles jusqu’aux grands orchestres. Nous avons deux orchestres d’harmonie [c’est à dire sans les instruments à cordes] et un orchestre symphonique [comprenant les trois familles d’instruments, cordes, vents et percussions]. Et finalement, quand on joue ensemble, on attrape le virus et on ne s’arrête plus ». Plus largement qu’organisateur, c’est un poste d’observateur que sa fonction de directeur de Conservatoire lui confère, avec un regard perçant sur les bouleversements des rapports à la musique : « Les générations ont changé. Nous, on avait des distractions et des loisirs relativement limités. Aujourd’hui, les enfants sont entourés d’un univers autrement ludique et un Conservatoire comme le nôtre doit rivaliser avec les écrans et les jeux. Ce qu’on pouvait exiger à une époque n’est plus possible aujourd’hui ». Sa pédagogie et sa philosophie du groupe, Ferdinand Bistocchi la doit grandement à ses origines et à une culture populaire. Il explique cette succession sur la foi d’une bonne blague : « Je suis d’une famille de musiciens et je ne sais rien faire d’autre que de la musique. De toute façon, c’était ça ou la maçonnerie ». On le perçoit tributaire, de son plein gré et heureux de l’être, d’une passion familiale et d’une tradition ancienne, nées dans l’Ombrie, pays de Saint François d’Assise : « C’est une culture familiale plutôt du côté de ma mère. Mon grand-père est arrivé à Villerupt en 1920, pour travailler dans la sidérurgie. Il était à l’accordéon et ma mère tournait les pages alors qu’elle ne connaissait pas la musique mais elle a voulu perpétuer cette tradition. Quant à mon oncle, il faisait les concours d’accordéon, c’était le virtuose de la famille. Par ailleurs, la musique tient énormément de place en Italie. Il y a par exemple un lien très fort entre le peuple et l’opéra, qu’on ne retrouve pas chez nous, en France, où l’opéra est considéré plus élitiste ». Mais quand le jeune Ferdinand, sortant de ses dix-huit mois de solfège, doit choisir un instrument, le destin se distrait et le hasard joue les chefaillons. « On m’emmène alors dans une pièce et on regarde dans les placards, « ah ben tiens, voilà une clarinette, allez tiens ! », et c’est comme ça que je suis devenu clarinettiste, et j’ai adoré ».
« Il faut avant tout une sensibilité et un enthousiasme »
Pédago jusqu’au bout des ongles, Ferdinand Bistocchi use de sa bonne humeur comme d’un instrument de musique, et de sa voix comme d’un ustensile à libérer le tempo. Dans l’interprétation de l’optimisme, il excelle : « La musique, c’est simple, c’est des maths primaires. Ce qu’il faut avant tout, c’est une sensibilité et un enthousiasme, et qu’importe les erreurs, tout cela est humain ». Un état d’esprit proclamé aussi dans ses compositions. La dernière en date, Charlie Light et les orphelins d’un monde moderne, sera jouée à Marly en mai et à Metz en juin (avant une tournée probable en France). Sans envahir son intimité, on place une dernière question au maestro, à la mode du meunier, « dormez-vous ? ». Très peu, surtout en période de composition. « J’écris la nuit dans mon lit, sans papier, sans rien, il ne faut être esclave d’aucun instrument. Il faut être seul avec sa pensée, elle est infinie, contrairement à un instrument qui vous réduit et vous distrait. La nuit, il n’y a aucun bruit, on se concentre à 100%, et si je m’en rappelle le matin, c’est que ça valait le coup ». Matin mâtiné de maths.