Parler de Joseph Silesi revient d’abord à parcourir les pages fantastiques de l’histoire de la Metz italienne. Son père, Federico, né en Sardaigne et plus tard chimiste à Gênes, arrive en Moselle parmi les premiers Italiens de l’après-guerre, en avril 1946. Il ouvre les yeux de son fils sur la formidable richesse des patrimoines messins. Aujourd’hui, Joseph Silesi est l’un des meilleurs connaisseurs de la Metz gallo-romaine, allemande, italienne, française et éternelle.
Sa bio, longue comme le bras, désigne un homme occupé et passionné. Sur la partie officielle – son activité professionnelle au Consulat Général d’Italie – il ne s’étend guère. Il lâche tout de même l’effectif stupéfiant : « En Moselle, la moitié de la population est d’origine italienne ». Joseph Silesi s’emploie un temps à participer, en administrateur, au succès du festival du film italien de Villerupt, un événement « magique ». Il le raconte en projetant sur sa mémoire les déambulations d’Ettore Scola ou Vittorio Gassman dans les rues de la petite ville. « On pouvait les croiser comme ça. J’ai connu la grande période, j’y allais quand j’étais étudiant. Je me souviens des « mamme » qui faisaient les pâtes. Quand on montait au premier étage de l’Hôtel de ville, elles étaient là, elles faisaient les lasagnes, les raviolis, les orecchiettes, avec des sauces également faites maison. Entre deux films, on allait manger un plat de pâtes, des pâtes qui avaient du goût. On fermait les yeux et on était transportés au-delà des Alpes, c’était extraordinaire ».
Il bénit d’un même qualificatif la période où il préside Radio Jérico, avec toutefois un bémol : « Pendant huit ans, j’ai été président de la radio, c’était une expérience extraordinaire et j’étais fier d’en être président. C’est une bonne radio mais je regrette le passage au réseau national RCF. C’est la raison pour laquelle je suis parti. Avant, on était davantage maître du jeu ». Aujourd’hui, la radio version RCF 57 laisse plus de place à la programmation nationale, tout en bénéficiant de la puissance d’un réseau. Plus vastement, il s’interroge sur la galaxie foisonnante des médias : « Je l’avoue, je suis un peu à l’ouest. Est-ce que trop d’informations tuent l’information ? Je me pose la question. Je pense que le volume d’informations auquel nous sommes soumis est devenu ingérable, ça part dans tous les sens ». Alors, faut-il réglementer davantage ? Sagesse de sa profession – et souvenir de ses études de droit suivies de celles d’histoire – une sorte de question, ou de doute, tient lieu de réponse : « J’avais un prof de droit qui disait ceci : « Plus un État de droit génère du droit, plus il devient anarchique ». Mais je ne crois pas que ça va s’autoréguler ».
Les patrimoines messins et mosellans restent la passion la plus chère de cet historien-chercheur. Intarissable sur tout ce qui a bâti Metz : les idées, les hommes, les pierres, les croquis, les conflits… C’est lui qui met au jour l’invraisemblable nouvelle, dans les années quatre-vingt : après avoir fouiné dans les récits de chercheurs italiens, il découvre un lien direct entre les travaux de Léonard de Vinci et l’un des mécanismes de la Mutte de la cathédrale Saint-Etienne de Metz. De sa partie originelle, sur la colline Sainte-Croix, à la Metz de 2022, Joseph Silesi explore tous les temps, les tempos, les couloirs, les influences, les alliances. Il joue magistralement de l’anecdote pour accrocher l’attention sur une histoire complexe.
Dès l’âge de quinze ans, il est guide-conférencier, puis administrateur de l’œuvre de la cathédrale. Sur « l’italiennité de Metz », Joseph Silesi double le pas et rayonne au carré. « Jusqu’en 1552, Metz est une république indépendante. Avant d’être française, ses ennemis jurés étaient le roi de France, le duc de Lorraine et l’empereur d’Allemagne. C’était une ville italienne ; pendant près de trois siècles, ce sont les banquiers lombards et toscans qui ont marqué de leur empreinte l’architecture de la ville. La place Saint-Louis est très caractéristique, les façades ont des alignements comme on les voit sur la piazza del Campo à Sienne. Il faut rappeler que pendant cette République messine, il y avait à Metz soixante banquiers italiens alors que Paris n’en comptait qu’une dizaine ». Ces remparts gallo-romains contre lesquels les bâtisses de la place Saint-Louis s’appuient, et d’autres plus tardifs, ne protègent plus aucun mystère. Joseph Silesi a tout étudié, décortiqué, analysé, sans oublier le souci de transmettre. Il collabore à divers ouvrages, annonce deux livres en préparation (lire par ailleurs) et fait aussi le guide nocturne et estival dans les rues de Metz. Branchez-le sur le petit amphithéâtre romain, méconnu, près du quai Paul-Vautrin, sur la Bataille de Metz en 1944, dont l’âpreté est liée aux fortifications allemandes, sur les (re)constructions successives, dont « le laboratoire » que représentait l’édification du quartier de la Neue Stadt, sur l’implantation du Centre commercial Saint-Jacques, dans les années soixante-dix, vidant l’ancien quartier et « vécue comme une sorte d’agression » ou sur « le sauvetage de la Maison des Têtes »… Vous n’êtes pas revenus.
Deux livres dans les tuyaux
Un premier est en cours d’écriture sur l’architecture italienne, trop méconnue à mon sens. Sur le second livre, j’ai pratiquement terminé le travail d’écriture, et le titre provisoire est Ces pierres qui nous parlent d’en haut. Pendant un an et demi, j’ai emmené sur les parties hautes de la cathédrale un ami artiste photographe, David Zhornski, et il a mitraillé… les sculptures les plus secrètes, les symboles des tailleurs de pierre. J’ai écrit ce livre sur son travail photographique ». Pour ses livres et recherches, Joseph Silesi collectionne naturellement les sources, dont les archives de la télévision sur des périodes plus récentes. Il conseille les reportages sur l’auteur messin et « amoureux des vieilles pierres », André Jeanmaire. Au hasard de cette balade télévisuelle, on découvre l’année 1964 (sur le site de l’INA) et les polémiques sur la destruction de l’ancien quartier de son enfance, le Pontiffroy. Et le commentaire amer du reporter : « Le vandalisme fleurit et prospère sous nos yeux, il est fêté, applaudi, subventionné […] ». « C’était une autre époque, tempère Joseph Silesi, la préservation du patrimoine n’était pas une priorité. On ne rasait pas pour faire fi du passé, il y avait une urgence et une crise du logement ».