Le 93e Prix Erckmann-Chatrian, surnommé le Goncourt Lorrain dès la fin des années 40, a été décerné le 7 novembre dernier à Metz, en l’Hôtel de Ville, à Arnaud Dudek pour son livre Le Cœur arrière. Celui-ci revient sur son parcours et livre ses premières impressions.
Déjà nommé l’an passé, Arnaud Dudek voit dans cette désignation « une belle reconnaissance car ce prix compte des lauréats prestigieux, notamment Philippe Claudel ou Nicolas Mathieu pour son premier roman. Et son jury comprend des auteurs que je respecte beaucoup comme Hélène Gestern. » S’il ne court pas après les récompenses, il voit dans cette première distinction, attribuée pour son huitième roman, « une pierre de plus dans la construction de ma confiance en moi. J’ai toujours un problème de légitimité ou de doute quant à mon statut d’écrivain. Chaque livre est déjà un miracle en soi et, me connaissant, tout sera remis en question pour mon prochain livre. Ce qui est plutôt sain. »
Il avait certes été nommé pour le Goncourt du premier roman en 2012 – « une surprise assez incroyable » – mais envisage ce prix avec autant de modestie que de réalisme, après dix ans à aller dans des directions littéraires différentes et connu 3 éditeurs.
Ce nancéien d’origine qui vit et travaille à Paris a pourtant été encouragé très tôt par ses instituteurs et professeurs pour sa plume, alors qu’il avoue être issu d’une famille qui lisait peu. Après avoir été publié dans la revue du lycée à Tomblaine, c’est lorsque ses nouvelles ont été sélectionnées dans dans des revues littéraires – notamment Décapage où il côtoyait des écrivains confirmés – qu’il se convainc de poursuivre dans cette voie.
Avec Le Cœur arrière (Ed. Les Avrils) on retrouve une écriture économe, sèche par moments mais alerte. Où des phrases très courtes, parfois sans verbe, alternent avec d’autres très longues, avec ou sans ponctuation. « La recherche du rythme est très importante, dans le style comme dans l’histoire proposée. Je passe beaucoup de temps dans le placement d’une seule virgule. »
Une recherche qui souligne celle du héros du livre, Victor. Un jeune issu d’un milieu très modeste. Une autre récurrence chez l’écrivain qui porte un regard plein de tendresse pour les gens de peu, cette frange de la France souvent délaissée. « Cela vient de mes origines. Je sais d’où je viens. C’est la réalité du quotidien qui m’intéresse. Ici dans le sport ou comme lorsque j’ai abordé la politique à l’échelon municipal. »
Repéré dans un club d’athlétisme où il s’est spécialisé dans la discipline exigeante du triple saut, Victor rêve d’une vie meilleure que celle de son père. Mais il va se heurter aux conditions quasi esclavagistes du sport de haut niveau. Dès lors comment trouver l’équilibre, le sien et celui du geste, lorsqu’il se confronte à une machine plus apte à broyer qu’à construire une destinée capable de gérer les échecs comme les succès. En nous attachant aux pas, parfois bouleversants, de Victor, Arnaud Dudek porte un regard sans concession sur le sport loin de ses lustres, sans possibilité d’identification, ni dimension sensationnelle liée à l’argent ou au dopage. Par le petit bout de la lorgnette. Nourri d’échanges avec des vrais athlètes, le roman se révèle une critique acerbe des structures d’entrainement « qui négligent la dimension psychologique du sportif ». Où l’on suit le cheminement et les désillusions poignantes de Victor. À hauteur d’homme.
Le Prix Erckmann-Chatrian
Attribuée chaque année depuis 1925, la récompense salue un livre qui évoque la Lorraine, ou dont l’auteur ou l’autrice est lorrain. Présidé par Bernard Visse, le jury compte au total neuf membres dont une partie sont d’anciens lauréats. Il retient cinq livres parmi une présélection d’une vingtaine d’ouvrages. L’attribution du Prix 2022 a largement été débattue puisqu’elle a nécessité quatre tours de table pour départager Joffrine Donnadieu pour Chienne et Louve (Gallimard), Laurent Petitmangin pour Ainsi Berlin (La Manufacture de livres) et Arnaud Dudek donc. Petite particularité, les deux derniers étaient déjà parmi les 5 nommés en 2021.