ÉDITO
« En 1995 et 2010, les défilés rejetaient un projet, tandis qu’ils expriment aujourd’hui inquiétude et lassitude. »
Emmanuel Macron claironne à propos de la réforme des retraites : « À l’élection présidentielle, les choses ont été dites clairement ». Il feint d’oublier le contexte de sa victoire, décrochée grâce au fantôme du « front républicain ». Passe encore cette pirouette, le président inquiète davantage par son goût du jeu. Il mise dorénavant sur l’Histoire, comme si la réforme se résumait à gagner le match historique du pouvoir contre la rue, celui perdu en 1995 par Alain Juppé et abîmant en 2010, durablement, l’image de François Fillon.
Le président cède à la tentation de la comparaison. Or, en 1995 et 2010, les défilés rejetaient un projet, tandis qu’ils expriment aujourd’hui inquiétude et lassitude. Si Emmanuel Macron a su bousculer utilement la société, il saisit mal désormais les états d’âme de son peuple. Plus qu’une colère, une angoisse aux ressorts flous guide les Français, anxieux d’un monde neuf émergeant dans le fracas.
De surcroît, nous vivions en 1995 et 2010 sous un régime traditionnel, opposant gauche et droite. Preuve de ce rapport de force alors binaire et puissant, la contestation dans les rues se traduisait vite dans les urnes : la gauche récoltait les fruits de la révolte dès les législatives de 1997 et la présidentielle de 2012. En 2023, elle vaque à d’autres occupations et se robespierrise en s’admirant le nombril. Quant au PS, jadis central, il lutte contre la mort. Pendant ce temps-là, les caciques de LR errent en schizophrénie : les uns à la remorque de la majorité, les autres à la recherche du tonique RPR, les troisièmes courant la gueuse dans les tripots du RN.
PS et LR ont réveillé Paul Valéry, dont la mise en garde sonne encore le tocsin : « Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre ». Longtemps, ces deux mouvements pivots ont su éviter les deux écueils et demeurer sur la crête. Aujourd’hui aux abois, ils dérapent sur l’une ou l’autre pente. Pour fignoler la débâcle, quelques syndicats, assiégés par la culture du blocage et éblouis par le succès des manifestations, mésestiment le gros coup de pompe des Français.
Pas besoin de recruter des experts pour repérer les symptômes d’une fébrilité générale. Le mouvement de nostalgie, idéalisant les années 70 à 90, en est un. Cette fuite en arrière, inaugurée par le réveil du disco, se nourrit désormais de « nouvelles » tendances : le retour de l’orange dans la déco ou le nouveau logo de Renault, répétant le losange baptisé en 1971, quand triomphait la R12… et que le Premier ministre Chaban-Delmas relevait la durée de cotisation de 30 à 37 années.