Au bout, la nuit (éd. Konfident). C’est le titre du dernier livre de l’artiste et écrivain messin Pierre Hanot qui aborde le sujet de la Milice via l’un de ses représentants, une « ordure intégrale » Rencontre.
Vous êtes musicien, écrivain, artiste… Comment passez-vous d’un art à l’autre ?
Il n’y a pas de règles en la matière, ce sont des activités complémentaires qui ne génèrent pas les mêmes sensations. La littérature est un exercice solitaire qui fait de vous l’unique responsable de ce que vous écrivez. Une fois le livre achevé, le voyage est terminé. La musique, c’est la composition mais ensuite toute une aventure débute avec le rapport au public, lors des concerts. En ce qui concerne le collage, c’est plus ludique, plus jouissif. Et j’ai effectivement besoin de passer de l’un à l’autre, selon les moments et les périodes.
Comment est né Au bout, la nuit, votre dernier roman qui aborde le thème de la collaboration ?
Comme la plupart de mes livres, c’est le fruit d’un hasard qui devient finalement une nécessité. Le cas présent, en surfant sur internet je suis « tombé » sur un documentaire relatif aux SS et aux collabos durant la Seconde guerre mondiale. Il y était notamment question d’un type de Toulouse. Son parcours était raconté, enrichi de deux ou trois pages de l’instruction et de son interrogatoire. Ce mec qui avait été milicien, qui avait fait partie de la division SS Charlemagne, ne semblait pas avoir le moindre regret. Moi qui rêvais d’écrire sur une ordure intégrale, je tenais mon personnage.
Sans dévoiler l’histoire, ce milicien rédige son carnet (de bord) alors qu’il est en prison en attente de son jugement, en 1945. Il revient sur son parcours de criminel. Il s’exprime bien, avec beaucoup de clarté, une tout autre élégance que le policier qui l’interroge, par exemple. Pourquoi ce choix d’un criminel « cultivé ».
Ce type-là est un intellectuel. Contrairement à un Lacombe Lucien dont l’absence de discernement pourrait prêter à une quelconque indulgence, il fait des choix lucides et son intelligence avive le fait qu’il n’a pas la moindre circonstance atténuante. Céline illustre bien ce genre de type. D’aucuns prétendent que Céline (le Docteur Destouches fait une brève apparition dans le livre et le titre du livre de Pierre Hanot n’est pas sans en rappeler un autre, ndlr) est avant tout un grand écrivain, pour moi c’est avant tout un antisémite qui a écrit des horreurs. L’exercice est forcément compliqué car face à un tel personnage soit vous balancez tout sans le moindre recul, soit, comme pour ce livre, vous allumez des sortes de contre-feux à ses dires et pensées, en mobilisant d’autres protagonistes, en l’occurrence son avocat et un policier. Et j’avoue avoir pris du plaisir à rédiger ces dialogues en cherchant les mots et expressions de l’époque, ainsi que la bonne tonalité. En tant que musicien, je suis sensible au rythme.
Quelle est la morale de Au bout, la nuit, selon vous ?
Je laisse le soin à chacun de mes lecteurs de retirer ce qu’il veut bien retenir de ce roman. Pour moi, ce qui reste, c’est le fait que l’idéologie d’extrême droite n’a pas tourné la page, comme le montre l’actualité. À mes yeux, il y a une filiation. Ce qui m’importe, ce n’est pas d’affirmer des certitudes ponctuées de points d’exclamation mais de poser et de susciter des questions.
Pour écrire ce livre, vous vous êtes plongé dans l’histoire de cette époque. C’est un exercice que vous appréciez ?
J’apprécie effectivement. Le hasard a d’ailleurs fait qu’il en a également été ainsi pour mes deux précédents livres Aux vagabonds l’immensité, (La Manufacture de livres, 2020) qui revient sur la « Nuit des paras » en 1961, à Metz et Gueule de fer (La Manufacture de livres, 2017) qui raconte l’histoire du boxeur Eugène Criqui. Ce sont deux romans qui reposent aussi sur des faits véritables. J’aime assez quand le « mensonge » s’enracine dans la vérité, quand le romanesque se construit sur la réalité. Mais je n’en fais pas une obsession comme l’attestent mes autres livres aux ambiances contemporaines. Mon prochain roman qui est en cours d’écriture, sera encore différent. Ce sera un livre sur la littérature, le travail de l’écrivain et son rapport au monde.
Et la musique dans tout cela ? Des projets sont en cours ?
Elle est bien présente. Un album de 8 titres sortira fin avril. Et une tournée se met en place, un concert est notamment programmé à Metz, cet été.