Lâchées par distraction ou subtilement calculées, vite oubliées ou gravées au panthéon des citations, les petites phrases assaisonnent l’actualité ; épices sur le plat de nos jours et nos nuits besognant. La chanteuse Juliette Armanet a débarqué cet été sur le champ des commérages en clashant Michel Sardou et sa chanson « Les lacs du Connemara ». Dans « un mail très gentil » – dixit Michel – Juliette s’est excusée depuis et, tout aussi élégamment, Michel a répondu, en substance : fermez le ban, ça arrive à tout le monde de glisser. Le vieux lion, codétenteur avec Hallyday et Goldman, des records de vente de disques en France, a même ajouté : « Je lui souhaite une longue carrière ». Classe.
Permettez-moi de remettre une dernière pièce dans le juke-box et de revenir sur ce qui ne méritait peut-être pas une polémique mais au moins une réflexion. Je la porte ici sur un aspect historique et culturel. Tartiner Michel Sardou constitue une sorte de code de bonne conduite dans les milieux bobos-gauchos, comme il est très tendance dans les cercles bobos-réacs d’éreinter les jeunes pousses.
Dans la même veine doctrinaire que Libération, snobant régulièrement les artistes classés dans la « culture populaire », France-Soir dézinguait les débuts parisiens du Belge Jacques Brel – « Nous lui rappelons qu’il existe d’excellents trains pour Bruxelles » – et Le Figaro torpillait, avec l’accent raciste, l’amorce de la carrière française de l’Américaine Joséphine Baker, l’accusant de produire un « lamentable exhibitionnisme qui semble nous faire remonter au singe en moins de temps que nous n’avons mis à en descendre ».
Bien que très ancien, l’art de la vacherie ne rouille pas, et la haine et la jalousie alimentent depuis toujours le monde des artistes et des auteurs. Relisons les rosseries des frères Goncourt sur l’Académie française, « ramassis de vieux débris », ou la brutalité de Charles Baudelaire jugeant George Sand « bête, lourde et bavarde ».
Tout propos vachard, qu’il nous choque, nous irrite ou nous amuse, doit aussi nous interroger sur le principe du jugement. Aimons-nous tous les uns les autres, non… qu’est-ce qu’on s’ennuierait ! Mais veillons à fixer les limites : racisme, sexisme ou discrimination physique notamment. On n’en était pas là avec Juliette Armanet.
Amateur des deux artistes, le rabibochage de Juliette et Michel me réjouit. Plus largement, il sonne comme un hymne à l’éclectisme, dont la chanson française se nourrit avec gourmandise depuis des lustres.
On pourrait d’ailleurs transposer ce débat sur d’autres thèmes, notamment sur la richesse des territoires. La beauté de la Moselle, brodée d’antinomies, flétrirait si elle ne célébrait pas, à la fois, Gouvy et Cascadeur, les maîtres de forges et le syndicalisme ouvrier, Pompidou et la cathédrale Saint-Étienne, la mémoire de Gravelotte et la poésie de Verlaine, la Reine de la mirabelle et le théâtre de Koltès, Waligator et le musée de la Cour d’or.