Le drelin de la porte de l’épicerie, le klaxon du J7 de la boulangère, souvenez-vous. L’odeur du cuir dans la tanière du cordonnier, du papier et de l’encre dans l’antre du libraire, le charivari de l’arrière-boutique des disquaires, les couleurs de l’étal du charcutier, les gammes du fromager, les lumières du matin, quand le poissonnier lève le rideau, quand le cafetier chauffe le percolateur et le buraliste allume sa carotte. Autant de madeleines de Proust dérobées à nos mémoires. Mais le commerce physique, local et indépendant, s’il souffre, se montre opiniâtre et résiste. Ces parfums du passé résident dans notre présent, en milieux urbain et rural. Ne laissons pas s’évanouir ce qui subsiste ou renaît.
Passons sur la polémique, finalement absurde, autour du « c’était mieux avant ». Mieux ou moins bien, tout dépend de la fenêtre par laquelle nous pénétrons dans la discussion. Des progrès techniques et technologiques ont rendu nos quotidiens plus confortables, plus sûrs et moins coûteux. Mais en admettant les clics du commerce électronique, nous sommes entrés dans une spirale qui dévalorise le contact humain, devenu étonnamment un luxe. Nous le payons cher aujourd’hui. Selon une enquête de l’Insee de 2021, « plus de 21 000 communes ne disposent d’aucun commerce, soit 62 % contre 25 % en 1980 ».
Me viennent à l’esprit les deux jeunes femmes libraires d’Ars-sur-Moselle (La Petite librairie) et l’équipe de la boucherie-épicerie d’Ancy-Dornot (Maison Saint-Clément). Dans de nombreuses communes mosellanes, on découvre ces nouveaux commerces, vitrines d’une idée simple : rien n’est inéluctable. S’ils sont parfois aidés par les collectivités et l’État, ils doivent pouvoir compter d’abord sur les consommateurs. Et s’ils tiennent, souvent avec de maigres salaires, ils le doivent avant tout à leur passion pour un métier.
Il ne s’agit plus aujourd’hui de chercher les responsables de la désertion, ni de culpabiliser les adeptes du e-commerce ou les fans de supermarchés (dont je suis), il s’agit de regarder le verre au tiers plein, et non plus celui aux deux-tiers vide, et de le remplir encore, de s’engager aux côtés de ces résistants et nouveaux aventuriers, bref d’acheter ici, en vis-à-vis.
« Mais c’est plus cher ! ». La remarque est fondée, surtout en ces temps de pouvoir d’achat en berne. Pour autant, le fait n’est pas avéré et une analyse au cas par cas s’impose. Il est sûr, en revanche, que nous détenons individuellement la solution et, dans nos porte-monnaie, les semailles d’un printemps des clochettes.