ÉDITO DE FÉVRIER 2025
« Entrez sans frapper », ce n’est pas mon truc. Je n’aime pas qu’on vienne me déranger chez moi. Sur ce réflexe humain, commun, prospèrent des politiciens de plus en plus nombreux, amalgamant l’interdiction d’accès à une sphère privée et la régulation des entrées sur un territoire partagé. Ceci explique le succès du slogan « on est chez nous », étrange cri de ralliement, particulièrement en Moselle et en Lorraine, terres de migrations intenses.
Qu’un État s’organise pour n’être point submergé par des vagues migratoires est indispensable. Mais les mesures annoncées ici ou là, sur le nombre de personnes à exclure et la rapidité avec laquelle elles le seront, ressemblent à des enchères. On observe des élus, hier proclamés humanistes, aujourd’hui annexés – car tentés ou terrifiés – par l’extrême-droite et ouvrant ainsi l’ère du « qui dit mieux ? ». Celle-ci fait des plus misérables des misérables une assemblée de numéros, jetés comme des dés sur les tableaux d’une comptabilité sinistre.
Les discours violents, vendus comme du muscle, empestent pourtant la mollesse. Nos démocraties sortent le bâton pour masquer leur incapacité à organiser autrement ce monde, une planète épuisée et abandonnée à des milliardaires obsédés par la fortune de leur clan. Les temps changent et les ententes se fondent sur d’autres idéaux collectifs : aux fraternités audacieuses et souvent joyeuses succèdent les corporatismes effrayés.
On m’objectera que ce n’est pas nouveau – la belle affaire – et que majoritairement le peuple français veut cette politique d’exclusion. Rappelez-vous ce que disait l’avocat de Pétain en 1945 ? : « 98% des Français étaient derrière le Maréchal pour l’armistice ». Même s’ils l’étaient parce qu’ils voulaient la paix, ignorant largement en 1940 les conséquences d’un armistice avec l’Allemagne nazie, voilà qui illustre les limites du « bon sens populaire » et témoigne des ravages de la désinformation et de l’amnésie. Ainsi va la vie, ses périls et ses paresses. Ainsi vient une nouvelle normalité, épouvantable, où le salut nazi d’un dirigeant étasunien produit davantage de commérages que de fermes condamnations.
Nous ne savons plus mobiliser sur l’éthique de nos démocraties, ni expliquer qu’une chasse aux immigrés piétine notre philosophie du mélange et notre tradition de l’accueil. Saurons-nous éclairer l’opinion sur les autres effets néfastes de cette traque programmée, affaiblissant notre économie, déprimant notre culture et participant à l’oubli de notre histoire ? Qui peut dire sérieusement, après avoir revisité celle-ci, « on est chez nous » ?