ÉDITO
Nos intimités se mêlent à notre histoire collective et récente, par le fil du vécu ou du récit familial. Un même événement historique fonde ainsi plusieurs vérités, de la même façon qu’un arbre observé du dessous ou du dessus, de près ou de loin, abrite une diversité de représentations. C’est un des filtres posés sur le décryptage des faits historiques. La lecture de l’histoire subit aussi l’influence des idéologies et des contextes. L’exemple de la collaboration est éclairant. Les descriptions divergent entre 1944, quand Charles de Gaulle cultive une France résistante, et l’après-1971, année d’une bombe éclatant sur grand écran, le film de Marcel Ophüls, Le chagrin et la pitié, dévoilant une France «veule et fasciste ».
Toutes les périodes historiques supportent ce même conflit, entre le roman qui honore et la vérité qui heurte. La construction et la compréhension du récit historique nécessitent donc la rigueur des historiens, détaillant des faits et certifiant des sources. Elle mobilise aussi l’humilité de chacun face à la complexité d’un moment et aux questionnements qu’il trimballe. Quand Jean-Michel Apathie compare Oradour-sur-Glane (massacre de 643 habitants par une division SS le 10 juin 1944) et l’Algérie coloniale (notamment la conquête de l’Algérie à partir de 1830 par les Français), il n’exprime pas un sentiment mais une vérité, que chacun peut vérifier. La vérité par exemple sur le massacre des El Ouffia, une « tribu amie, surprise, encore endormie sous ses tentes, et fusillée ou sabrée au point du jour, sans réquisition ni sommation préalable », dénoncé en 1833 par l’Intendant civil d’Alger. À la Chambre des députés, Lamartine, pourtant favorable à la conquète de l’Algérie, donne aussi de la voix contre les « innombrables massacres ».
« Si l’on prend le point de vue des historiens, Apathie a non seulement raison mais il ne dit rien de bien révolutionnaire sur l’Algérie », commente l’universitaire Clara Breteau. Pourquoi alors, en 2025, devient-il la cible de violentes critiques ? Parce que les politiques, dont certains instrumentalisent l’Histoire, parlent plus fort que les historiens. Parce que nous vivons dans l’ère, intellectuellement confortable, du tout noir ou tout blanc. La dénonciation de crimes français en Algérie n’entérine pas l’ignorance d’autres crimes, d’autres souffrances, subis lors de la guerre d’Algérie, celles des Harkis, des Pieds-noirs ou de jeunes appelés français jetés dans une guerre (1954/62) qui peinait à dire son nom. Regarder l’Histoire – toute l’Histoire – en face est la marque d’une grande nation.