ÉDITO
Je ne médite même pas, je m’absente. Je saisis la télécommande, j’appuie sur off, je fuis un instant ce monde en écoutant la pluie et je sèche sur le sujet de cet éditorial. Dois-je parler des dernières chances du FC Metz de demeurer dans le gratin du foot ? Ou de la Fête des Vins de Moselle ? De Biden, d’Ukraine, de Trump ? J’hésite un temps à vous parler du temps. Ou de la nouvelle Renault 5 produit de nos mélancolies, des deux bénévoles de la Ligue contre le cancer, armés de courage et de sourires, que je croisais ce matin sous le froid.
Une double question me harcèle quand j’écris – où partent mes mots, comment sont-ils reçus ? – tartinée d’une autre interrogation qui mériterait qu’on me tance (un éditorialiste ne devrait pas dire ça) : Finalement, à quoi servent ces éditoriaux, ces avis plus ou moins tranchés, parfois péremptoires, dont on inonde les pages de nos magazines, la radio et la télévision ? Je ne connais pas la réponse – j’espère toujours, au moins, susciter un échange, même minime sur le bord d’un zinc – et me rassure en saisissant la télécommande. J’appuie sur on, je réécoute le discours d’Albert Camus, lors de la réception de son Prix Nobel, évoquant l’homme « riche de ses doutes ».
Tous les mordus du stylo et fans du clavier, du génie de la littérature au twitto compulsif, se posent probablement – du moins, l’espérons-nous – ces questions. En recueillant les paroles qui volent sur nos têtes, j’attrape le constat d’un handicap collectif et de notre difficulté à pratiquer spontanément la nuance. That is désormais the question : être noir ou blanc ou ne pas être. Il faut être pro-palestinien ou pro-israélien, macroniste ou anti-macroniste, adorer Depardieu ou le détester. Certains font commerce de ces confrontations binaires, de ces affrontements entre vérités prêtes à porter, prêtes à hurler. Albert Camus : « La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin ».
Sans mépriser le propos assuré – on se nourrit aussi d’affirmations et d’autorités – j’aime le silence du doute et dans ces temps aux parfums tristes, je pense à Stefan Zweig, merveilleux écrivain autrichien, tourmenté par la question du rôle de celui ou celle qui écrit. D’origine juive, il s’expatrie dans les années 30 en Angleterre puis aux États-Unis. Il se donne la mort en février 1942, « dévasté par l’idéologie mortifère en marche dans cette Europe cosmopolite qu’il aimait tant ».