ÉDITO
« N’attendons pas que se mette en branle le vieux balancier français, allant d’un écueil à l’autre, du grand bazar au grand vide, directement, sans passer par la case modération. »
La télévision nous vend des héros à profusion, flics, juges, toubibs, curés et instits couverts de bons sentiments, courant secourir la veuve, l’orphelin et l’avocat de l’égalité des droits, des races et des sexes. Rien qui ne déplaît au téléspectateur que je suis, adepte des Zorro cool et Tintin pas nécessairement bodybuildés, les Maigret, Colombo et Derrick dont je reste éperdument nostalgique des imperméables crème et des bonnes manières. Quel que soit le genre du gentil, surexcité ou décontracté, sa mise en lumière fonctionne quand le Gargamel est cruel et le contraste flagrant. Règle basique du bon polar. Encore que… les borderlineurs, détracteurs du noir et blanc, flics fripouilles et escrocs charitables, ajoutent du sel à l’intrigue et nous servent un paradoxe plaisant. Mais nous n’en sommes plus là. L’époque ne nous impose plus une télévision paradoxale, ni même aimablement absurde, mais carrément schizophrène : le moralisme partage l’affiche avec la sauvagerie. Dans les séries télévisées inondant les programmes du jour et de la nuit, il n’est plus question de suggérer la mort et les corps massacrés, il faut montrer, étaler. L’écran n’est plus fenêtre mais loupe. Viols, agressions, décapitations, meurtres s’exposent brutalement, longuement, avec le souci du gros plan. Quel est l’effet de ce climat d’ultra-violence ? Les études scientifiques, aussi nombreuses que contradictoires, n’apportent pas de réponse définitive sur la fureur télévisuelle, cause ou conséquence de la violence réelle. Restons donc sur un sentiment, et sur l’angoisse diffuse d’une société qui perd ses nerfs et le sens commun, où les scénaristes snobent l’allégorie, ignorent la puissance d’un dialogue et se jouent des nuances. Nous, témoins derrière le miroir espion du commissariat, leur emboîtons le pas. Nous participons à une fuite en arrière, une exhibition permanente de l’horreur à des heures de grande écoute, réduisant le corps humain à un morceau de viande, un objet sexuel et un sujet d’humiliations et de souffrances. Le mouvement semble inexorable. Nous verrons. Mais n’attendons pas que se mette en branle le vieux balancier français, allant d’un écueil à l’autre, du grand bazar au grand vide, directement, sans passer par la case modération. D’accord, reprogrammer Bonne nuit les petits n’est pas à l’ordre du jour. On peut saluer toutefois les efforts menés pour épargner aux enfants la brutalité ambiante… et saluer aussi la voix douce du légendaire Nicolas de Bonne nuit les petits, eu égard à la messinité de la comédienne, au nom fièrement prédestiné, Monique Messine.