Le nouveau film d’Emanuele Crialese prend des accents autobiographiques. Chronique sensible et onirique s’ancrant dans les années de plomb italiennes, L’Immensità questionne le genre et les dynamiques intrafamiliales.
Rome, dans les années 70. Au dernier étage d’une nouvelle résidence cossue jouissant d’une vue imprenable sur la ville éternelle, Clara Borghetti et ses trois enfants dressent la table. Robe cintrée et brushing bouffant que ne renierait pas Jackie Kennedy, la mère chantonne et danse sur un tube de Raffaella Carrà, tandis que sa famille suit la cadence, amusée. Entre Felice, père et époux ; l’ambiance devient soudainement glaciale. Car les mariés ne s’entendent plus, mais Felice refuse de divorcer. Si Clara, Espagnole ayant grandi sous le régime franquiste, est une femme ouverte que d’aucun jugerait excentrique, son mari est un Italien ayant reçu une éducation traditionnelle machiste. Véritable pater familias, il attend de ses proches obéissance, et ne jure que par l’autorité et la violence. Il n’hésite pas, cependant, à se montrer maintes fois infidèle. Au sein de cette famille dysfonctionnelle, chacun cherche une échappatoire : Clara trouve refuge dans la relation privilégiée qu’elle entretient avec ses enfants, s’accordant des fugues oniriques ça et là, en particulier avec l’aîné. Ce dernier fuit le cadre familial en se rendant dans un camp tzigane où il expérimente l’altérité. Là-bas, il se réinvente et peaufine son identité : alors que ses parents l’ont appelé Adriana à sa naissance, il se présente désormais à ses nouveaux amis sous le prénom d’Andrea. Car depuis toujours, il se sent étranger à son corps et ne se reconnait pas dans les codes de la féminité, ceux que sa mère jouent à la perfection. Alors que cette dernière ne questionne pas l’affirmation identitaire de son enfant, bien au contraire, le père s’inquiète avec véhémence des qu’en-dira-t-on. Un point de rupture est atteint dans cette famille au bord de l’implosion. Dans L’Immensità, difficile de ne pas percevoir l’influence du cinéma de Pedro Almodóvar, ne serait-ce que par la fabuleuse présence de son actrice fétiche Penélope Cruz, sans oublier le sens du détail et des couleurs.