Esquisser le portrait de Cascadeur relève du challenge. C’est aller à la rencontre du parcours d’un artiste qui a fait le choix de s’effacer derrière un avatar. Un paradoxe à multiples facettes où il est question d’anonymat, de discrétion, de pudeur mais aussi de liberté, de prises de risques, de dédoublements et de notoriété. Autant de chassés-croisés sur l’identité, la sienne et celle de sa région, souvent abordés avec autodérision. Une autre forme de détachement.
Sa voix est aussi douce que sa musique est aérienne. Convoquant l’auditeur dans un voyage à travers un espace lyrique où flottent toutes sortes de repères qui s’échappent au moment où l’on s’en approche. À l’image de la personne, soucieux que son nom reste aussi discret que ses rapports à sa filiation et les notions de dates. « J’ai un problème avec l’exposition, c’est un peu la clé de mon parcours. Je préfère être une voix qu’une figure. »
La représentation est pourtant l’un des fils conducteurs de la vie d’Alexandre Longo, né à Paris de parents originaires de Talange, et venu à Metz à l’âge de 4 ans. Il a eu la chance de vivre une enfance heureuse en côtoyant les milieux artistiques – son père était directeur des Beaux Arts de Metz. « J’étais un peu privilégié, je descendais un étage et je croisais plein d’artistes ou apprentis artistes. Je faisais même du skate-board dans des halls d’exposition. Mais cela m’a permis de prendre très vite conscience des difficultés auxquelles peut se heurter la culture. Et qu’elle peut devenir intéressante à partir du moment où elle acquiert un certain degré de notoriété. Sinon elle dérange. Il suffit d’observer les débats politiques actuels pour se rendre compte qu’elle n’est pas prioritaire. »
Dès qu’il le peut, il fuit la grisaille de la ville qu’est alors encore Metz. Il part à Paris faire ses études… en fac d’arts plastiques. Une manière de se détacher aussi des Beaux-Arts. « Vouloir faire de la peinture c’était un sacré truc. Un peu comme vouloir reprendre l’épicerie familiale de père en fils. Mais à Paris, je perdais cette identité “fils de”. »
Partir, pour revenir. Un schéma reproduit plusieurs fois dans sa vie. Et qui était déjà celui du père. Qui a quitté le milieu ouvrier à Talange, avec la figure de l’immigration, pour se façonner à Paris tout en restant fidèle à sa région. Et y revenir ensuite.
Cascadeur est lui-aussi revenu… comme professeur à la faculté d’art plastique à Metz. Une année vécue presque comme une forme d’imposture. « Je vivais déjà une dichotomie. Mon travail d’artiste explorait le mode de l’enfance, et là j’avais un statut d’adulte officiel face à des personnes sortant de l’enfance. Les dilemmes ont toujours nourri mon travail. »
La musique le rattrape – il a toujours fait du piano, même à Paris à côté des études. Une double vie, déjà. Même si la peinture restera présente. « Quand je fais un disque, j’ai l’impression de faire de la peinture, j’utilise la musique comme je pourrais utiliser une toile. Avec un rapport au toucher, à l’espace. Je suis déformé par ma formation. »
Au sein du groupe Orwell, il tourne aux USA et en Angleterre. Avec Jérôme Didelot et Thierry Bellia donc, deux musiciens toujours présents à ses côtés aujourd’hui – c’est dire l’importance du mot fidélité chez Cascadeur. Ce sont eux qui lui donnent confiance pour exploiter les compositions qu’il cachait encore. « Cela m’angoissait de ne pas arriver à exploiter une part de moi. »
La suite on la connaît. Il prend le nom d’un de ses jouets d’enfant (« La doublure qui prend des risques pour les autres. »), fait ses premiers concerts à Paris, est repéré notamment grâce au tremplin des Inrockuptibles CQFD en 2008. L’anonymat lui permet d’aller au contact du public et le place au premier plan, lui qui jouait jusque-là presque dans l’ombre des autres, mais sans casque ni masque. Et sa musique vient défier la pesanteur de la ville de son enfance. Un, puis deux albums. Et la Victoire de la Musique obtenue en 2015 « La cerise d’un gâteau déjà bien entamé ».
Pour des raisons structurelles propres à sa maison de disque, le troisième album connaîtra moins d’exposition. Mais voilà qu’en plein confinement, Meaning est utilisé dans la bande originale de la série Lupin sur Netflix, et bat des records d’audience dans le monde. « C’est un titre fantôme du premier album qui a changé mon existence en rebraquant les projecteurs sur moi. Une ironie du sort. »
Joue-t-elle un rôle dans le titre de ce nouvel album Revenant qui sort ce 11 mars ? Toujours est-il qu’il permet à Cascadeur de s’incarner à nouveau, avec une tournée qui démarre en avril. Questions existentielles à la clé. « Sur scène il y a ambiguïté avec cette époque où l’électronique prend beaucoup de place. Que deviens-tu en tant qu’instrumentiste ? Le musicien existe-t-il encore ? Je deviens un robot ou suis-je plus humain ? ».
Cascadeur n’en a pas fini avec les paradoxes.
Revenant (Decca International)
Déjà composé avant la crise sanitaire, l’album et son titre prennent un drôle de relief. « J’aime bien l’idée romantique du come-back. Il est l’heure de retisser des liens après avoir perdu une part d’humanité. Et même si l’idée d’avancer masqué est accentuée, c’est aussi un peu l’être humain qui revient. »
En l’occurrence il vole, avec sa combinaison de wind suit, sur une pochette clin d’oeil à celles des panoplies de l’enfance, (« Qu’il plane ou qu’il soit en chute libre, il y a l’idée de la maitrise du temps et de l’espace. Mais c’est un super-héros qui expose ses cicatrices et sa fragilité. »). Il est vrai qu’en alternant tensions et relâchements apaisants au fil d’une trame narrative, l’auditeur a l’impression d’être invité à se jeter dans un espace-temps où il choisit son propre itinéraire.
La voix prend une place plus centrale, avec pour la première fois des titres en français (« il arrive dans au moment où je l’ai choisi »). Et ces choeurs ou chorales d’enfants qui suspendent le temps reviennent avec Young (« Les enfants apportent une étincelle, une compréhension différente. j’apprends beaucoup à leur côté »).
Un disque en suspension (comme le titre Wanted où Cascadeur retrouve Stuart Staples des Tindersticks), idéal pour échapper à la gravité du moment.