Sans cesse de nouveaux classements débarquent sur nos écrans : les villes où il fait bon vivre, les plus beaux marchés de noël, les meilleurs fromages du monde, les départements où l’on respire le mieux… c’est l’asphyxie ! Face à la prolifération, la méfiance s’impose. Certains de ces classements apportent de solides garanties, notamment par un affichage clair des critères. D’autres tiennent de l’escroquerie, reposant sur des démarches non scientifiques mais très lucratives.
En 2022, l’Agence France Presse (AFP) alertait suite à la publication d’un classement réalisé par Numbéo et signalant plusieurs villes françaises parmi les plus criminogènes du monde (Nantes apparaissant devant Bogotá !). Amplement relayé par le RN et Reconquête pendant la présidentielle, ce sondage ne recueillait en fait que le ressenti d’internautes, pouvant voter plusieurs fois et dont le lieu de résidence n’était jamais vérifié. « Cette approche ne vaut rien », concluait le directeur de l’Observatoire des criminalités internationales de l’IRIS.
Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, quelques hiérarchisations sérieuses décrivent une réalité, positive ou négative, et s’avèrent utiles aux décideurs, investisseurs, citoyens et voyageurs. Mais le temps long demeure le meilleur outil de mesure. On ne sait estimer correctement la qualité de vie dans une ville sans y avoir vécu au moins quelques mois. Pour ces classements, dont l’objectif consiste principalement à susciter du commentaire et booster l’activité des réseaux sociaux, se pose la question de la subjectivité.
On aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, une ville, un marché ou une plage pour des raisons souvent irrationnelles et intimes. Or, aucun sondage ne sait calculer la puissance de nos émotions, elles aussi bâtisseuses de la cité idéale. Les tops 10, 20 ou 50 des « plus belles villes » peuvent se concevoir par exemple sur la base de la richesse architecturale ou du nombre de jardins, mais ils révèlent la limite de ces classements : le degré de beauté, comme la qualité d’une saucisse, s’estime selon une appréciation personnelle et toujours contestable.
C’est la même gare de Metz que Maurice Barrès décrétait moche et qui fut primée cent ans plus tard « plus belle gare de France » (grâce à la mobilisation d’internautes). Que je trouve Barrès sur le coup mal inspiré ne change rien à l’affaire. La sensibilité déserte la sphère comptable. Et que je reste farouche partisan de l’atmosphère des antiques et poussiéreux rades de banlieue n’écorne pas mon enthousiasme pour la lumineuse Metz.