Avec le report de l’âge de la retraite, je cherche quelques solutions pour rajeunir. Il m’arrive de réussir en plongeant dans mes souvenirs d’enfance. L’un de ceux-ci éclaire l’image de mon père instituteur.
Sachant que les places du fond étaient revendiquées par les fabricants de bazar et les apprentis en léthargie, il organisait la disposition de ses élèves dans la salle de classe de cette façon : à la rentrée, nous nous installions librement, puis, à chaque début de mois, il nous changeait de place, selon notre moyenne. Les bons élèves se retrouvaient au fond, les « moyens » au milieu, les cancres sur les premiers rangs. Double bénéfice : il avait l’œil sur les traînards ; et ses élèves, l’œil sur leurs résultats afin de gagner vite les rives du fond parées de légendaires radiateurs.
Au-delà des défilés de circulaires, réformes et méthodes pédagogiques, l’instituteur, l’institutrice, les professeurs, seuls face à leur classe, avec leurs propres moyens et propres techniques, s’engagent souvent avec une passion et une générosité commandant le respect. Ils offrent du temps, de l’énergie, de l’ingéniosité. Ce n’est hélas pas de ça, pas d’eux, dont on parle lorsque retentissent les cloches de septembre.
Ces milliers de missionnaires, « hussards de la République », demeurent dans les angles morts de l’actualité. Sous les lumières, on préfère coller les polémiques, les controverses méprisantes – mais que font donc les pauvres de leur allocation de rentrée scolaire ? – ou la dernière pichenette du ministre de l’Éducation nationale, voire du ministre de l’Intérieur, désormais ministre de tout.
Bon dieu, ce que tu nous manques, Jules Ferry ! Ce grand ministre de l’Instruction publique écrivait aux instituteurs en 1883, après la promulgation des lois sur l’école gratuite, laïque et obligatoire. Pas une circulaire, mais une œuvre d’empathie et d’encouragement : « […] Des diverses obligations que [le nouveau régime d’enseignement] vous impose, celle assurément qui vous tient le plus au cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique (…). Vous me permettez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer par des exemples concrets empruntés au détail de vos fonctions, comment vous pourrez remplir, à cet égard, tout votre devoir, et rien que votre devoir […] ».
Je connais aujourd’hui quelques héroïques bavards et donneurs de leçons qui ne tiendraient pas une semaine… à la place de l’instituteur.