Rançon de la liberté et de la bougeotte, on définit difficilement Stéphane Alfonsi. Calligraphe, peintre, dessinateur, enseignant, les quatre à la fois et en indépendant. Philosophe, chercheur, aussi. À vrai dire, il s’en moque et préfère bavarder sur son « état d’être » que déballer ses titres et brevets. Messin de naissance, Talangeois d’enfance, Montignien de temps en temps, ce récent quinqua déroule un parcours rare : chauffeur de général, climaticien, technico-commercial puis artiste. « Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que je passais à côté d’un gros truc : la liberté d’être un artiste ».
À l’école, déjà, il aimait ça. « Quand j’étais gamin, je voulais faire du dessin et de la BD. Ado, je voulais faire des choses dans l’art. Au lycée, j’ai arrêté d’y croire parce que j’étais pris par les potes, les sorties, et il me fallait un bac. Puis j’ai fait un BTS dans la clim à Talange. J’aimais beaucoup, je faisais du dessin industriel avec des Rotring, sur des calques ». Arrive 1995, l’heure de l’armée, direction Toul-Rosières sur une base aérienne, pour les classes, puis Metz-Frescaty : « J’ai fait mon service militaire peinard. A Metz, j’étais chauffeur de général, c’était ma fonction officielle, en fait je l’ai conduit très peu, je faisais du sport ». Stéphane Alfonsi rejoint la vie civile et les bataillons de créateurs de climatisations, dans un bureau d’études. Heureux mais traversé par quelques frustrations : « J’ai bossé dix ans en bureau d’études, dans les domaines du chauffage et de la climatisation, je faisais des calculs techniques, des devis, puis je vendais aux installateurs, j’avais plein de boulot. J’ai ensuite fait du commerce, pas en costard sur la route, j’étais dans un bureau, technico-commercial, je trouvais plein de solutions pour des gens qui étaient empêtrés dans des questions. J’aimais bien mais j’étais dans un système 7h30/18h. Et les seuls mots que j’écrivais dans la journée, c’est quand j’envoyais un fax. J’imprimais, je prenais un vrai stylo et j’écrivais : « Bonne réception, meilleures salutations. Stéphane Alfonsi» et j’envoyais le fax. Je passais ma journée au téléphone, sur des ordinateurs, j’étais frustré de n’envoyer que ces mots-là dans la journée. À cette époque, je fonctionnais, tout comme mes collègues, déjà en indépendant, mais je ne me suis pas rendu compte tout de suite que je passais à côté d’un gros truc, la liberté d’être un artiste ».
L’artiste est-il intrinsèquement libre ? Stéphane Alfonsi sait que non, « la liberté n’a pas de prix mais en fait, artiste, ça ne veut rien dire, on crée, on est des créatifs. Je ne sais même pas ce que je vais faire demain ». Il a conquis sa liberté par des choix et non-choix, refusant parfois des commandes comportant le risque de l’enfermer dans un style ou un agenda contraint. Un luxe qu’il savoure aujourd’hui, grâce à trente ans d’expérience, un talent incontesté et une réputation solide. Il est libre, autant que la calligraphie est vaste, ouvrant sur de multiples univers, prétextes à d’innombrables recherches. Là se trouve probablement l’explication de la passion particulière de Stéphane Alfonsi pour la calligraphie : « Plusieurs voies peuvent nous amener à la calligraphie, mais il n’y a plus d’école de formation, il y en avait deux en France. Aujourd’hui, on apprend avec des cours et des stages, il y a aussi beaucoup de tutos et de formations en ligne, je n’adhère pas à ça mais c’est un point de vue personnel. Moi je me suis formé avec mon cousin à la Maison de la culture de Metz. Définir la calligraphie, c’est compliqué. Je ne crois pas que ce soit un métier, c’est davantage un statut, et même un état d’être, un état d’esprit. En plus de vingt ans, je me suis énormément diversifié. La calligraphie est variée, ce ne sont pas les mêmes disciplines selon les époques. Pendant des siècles, ça n’a été que de l’ordre du sacré. En Asie, c’est une véritable culture, liée aux arts martiaux, c’est l’idée du geste parfait. C’est lié aussi aux énergies, à la méditation quand on fabrique l’encre. En Europe, c’est plus religieux ». L’art de l’écriture manuelle se voit bousculée, du Moyen-Âge à nos jours, par de nouvelles techniques, croisant ou épousant les révolutions et donnant naissance à d’autres formes de symbolisme : copie des livres, imprimerie, typographie, informatique. On dessine alors des lettres, on ne les calligraphie plus vraiment. La discipline n’en demeure pas moins un art, « la lettre reste une forme qui donne un son » : « Sur un ordinateur, vous choisissez votre typo, mais au départ, tout est fait à la main, des formes de lettres sont inventées, avec le souci du lien entre elles et des espaces ».
Stéphane Alfonsi a conservé la plume originelle, l’esprit de la main, le cœur intarissable sur l’ésotérisme des caractères. Au vol, au fil de ses recherches, il a attrapé une bonne connaissance de l’univers des matières : tout ce qui, accompagné d’une encre, forme une lettre ou une forme : l’acier (ou l’aile d’oie) des plumes, le plomb des imprimeries, le bois, le laiton, le verre. Il a acquis 2400 plumes sur le Bon coin, « je n’en avais pas besoin, mais je les offrais, par exemple aux élèves après les cours, comme une amulette ». Passionné mais jamais monomaniaque, là est le paradoxe rassurant du bonhomme. Sa curiosité des autres mondes reste intacte. Il s’est dernièrement pris de passion pour le gyroroue électrique, il en a acquis un second, en cas de panne du premier, et confesse une forme d’addiction : « si tu vois un mec à Metz sur un monoroue, avec un casque genre Terminator, c’est moi. En fait, j’aime passer à autre chose, y compris en restant dans un même registre. Je suis constamment en recherche. Quand j’ai fini un travail, j’ai tellement appris autre chose, que je veux continuer d’apprendre. Le travail, à la limite, je m’en fous, il m’a juste permis d’avancer, c’est la recherche qui m’intéresse. La répétition m’ennuie, sauf en calligraphie où la répétition du geste fait qu’on est bon ».
Stéphane Alfonsi, atelier le Scriptôgramme / Ouvert sur rendez-vous au 06.83.16.24.87
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Savoir faire et faire savoir
À côté de l’artiste, calligraphe et peintre, jadis dessinateur, le professeur Alfonsi cultive son goût du partage. « Il y a deux branches dans mon activité. La création, d’une part, et la création ça veut tout dire et rien dire ; des fois, je ne fous rien et je crée. Et d’autre part, l’enseignement. Je travaille désormais de façon régulière, un peu partout en France, j’étais récemment à Rouen, j’interviens dans des associations à Luxembourg. Je travaille aussi en prison, dans des hôpitaux psychiatriques et en Ehpad, là je ne fais pas de calligraphie, c’est trop précis, je fais du pastel, de l’aquarelle. Mon boulot a pris la forme d’art-thérapie, sans que je sois art-thérapeuthe. Ces gens, en Ehpad, en prison ou en psychiatrie, sont en état de souffrance, cette activité les fait oublier où ils sont, ils changent d’état de conscience, ils se sentent moins prisonniers d’un corps ou d’un lieu. L’art sauve le monde ». Stéphane Alfonsi intervient dans le cadre d’autres collaborations, sur des commandes et des supports variés (de la fresque murale à la carte de vœux). Il a ainsi œuvré pour l’ENIM – École nationale d’ingénieurs de Metz – la Cour de justice européenne ou la Maison Chanel : « Chez Chanel, j’ai formé le personnel à écrire. Ça ne m’intéressait pas de venir travailler ici pendant des jours, à écrire tout seul des cartes de vœux, ils m’ont demandé de venir deux jours avec le personnel, de jolies filles et de beaux mecs, tous très sympas… ». L’art, c’est vrai, c’est d’abord bien voir. Un autre artiste, le photographe Christian Legay avec lequel Stéphane Alfonsi nourrit un projet de livre, en sait quelque chose « L’idée est d’inclure ses photos dans mes peintures ». À suivre.