Aux adjectifs qu’on lui colle – emblématique du FC Metz étant le plus fréquent – Carlo Molinari répond avec le regard et le recul sur les années : « Je ne ressens pas les choses comme ça, parce que j’ai toujours vécu naturellement ». Il n’empêche que celui qui fut pendant 36 ans président du club (1967/78 et 1983/2009) incarne puissamment l’esprit Grenat. Avant d’accepter la présidence en avril 1967, il s’illustre en pilote de motocross, trois fois champion de France dans les années 50. Charles, dit Carlo, Molinari, se distingue aussi dans le monde économique, en libéro, PDG de la Sodima (Société de distribution de matériel automobile). Le gamin de Villerupt, 91 ans aujourd’hui, roule en philosophe, jamais très loin d’un trait d’humour : « L’école, ce n’était pas mon truc, je n’ai pas suivi d’études, j’ai plutôt été poursuivi par elles, je suis donc arrivé avant ».
Carlo Molinari boudait l’école mais il avait des rêves, et déjà des plans, en tête. « J’ai toujours su ce que je voulais faire. Du foot, comme tous les gamins, sauf que je n’étais pas un très grand joueur. J’ai surtout toujours su que je voulais travailler dans le transport et la mécanique. Mon père était à une époque le plus grand transporteur de la région, il avait 180 moteurs quand il est décédé. J’ai fait mon apprentissage avec lui, j’ai commencé par balayer le garage. Mais je voulais créer mon affaire, acheter mon camion, et j’ai fondé mon entreprise ». Autodidacte, Carlo Molinari façonne sa carrière d’entrepreneur à la force du poignet, avec toujours le souvenir des recommandations paternelles : « C’était le patriarche, dur, exigeant, comme il l’était avec lui-même ». L’esprit de famille, ciment de son parcours, aujourd’hui encore avec ses petits-enfants, a largement forgé sa stature et fondé ses valeurs. Elles irriguent toute la conversation, lorsque nous abordons par exemple l’évolution du foot français et mondial sur un demi-siècle : « Je ne veux pas faire le récit de l’ancien combattant, du genre : dans l’ancien temps, c’était ceci ou cela. C’était différent. Est-ce que c’était mieux ? Au fond, probablement. Il y avait des valeurs plus respectées qu’aujourd’hui. Mais il y a tellement eu d’erreurs, à tous les niveaux, depuis cinquante ans. On a les résultats de ce qu’on n’a pas su anticiper ». À 19 ans, il empoche son premier titre de champion de France de motocross et, deux ans plus tard, trône en couverture de Moto Revue. Puis s’ouvre la grande aventure du foot.
Si Carlo Molinari vit naturellement et simplement, sans attendre les honneurs, on le sent toutefois ému de figurer régulièrement dans le Top 20 des historiques patrons de club de foot français, aux côtés des Jean-Michel Aulas (Lyon), Roger Rocher (Saint-Etienne), Claude Bez (Bordeaux), Louis Nicollin (Montpellier). C’est le 21 juin 1967 qu’il prend officiellement la présidence du FC Metz. Il la quitte en 1978, après un vote de défiance du comité directeur du club, puis revient en 1983, jusqu’en 2009. Sous l’ère Molinari, les Grenats signent leurs plus beaux succès : vainqueurs de la Coupe de France en 1984 et 1988, coupe de la Ligue en 1996, sans oublier les Messins internationaux français (Battiston, Pirès, Kastendeuch, Zénier et quelques autres) et l’incroyable duel en coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, le 3 octobre 1984, Metz battant Barcelone (4-2) en match retour, sur le terrain des Catalans s’il vous plaît. On connaît l’enthousiasme parfois abusif des commentateurs sportifs mais on comprend – et on réclame ! – que certains d’entre eux parlent aujourd’hui encore de cette rencontre comme « l’un des plus grands exploits du foot français ». Voilà pour les plus belles joies de Carlo Molinari. Pour les regrets, il cite surtout le loupé du championnat 1998. Metz termine la saison en haut du tableau, à égalité avec Lens. C’est au nombre de buts, cinq malheureux petits buts, que les deux clubs sont départagés, sur un goal-average favorable aux Pas-de-Calaisiens.
Plusieurs éléments expliquent la popularité, intacte, de Carlo Molinari. Prenant la présidence du club alors qu’il venait d’accéder en ligue 1 (on disait à l’époque 1e division), il a su installer et faire durer le FC Metz sur le haut-niveau, « alors que le FC Metz avait l’habitude de faire de l’ascenseur ». Une même passion l’anime depuis le premier jour : « C’est comme ça, j’ai le cœur grenat ». Il s’intéresse aux autres, « il aime ses joueurs », dit Bernard Zénier (lire par ailleurs). « Il est humain – écrit un internaute sur le forum du FC Metz –, une grande qualité humaine, qui était sa force, devenue son talon d’Achille, la mentalité des joueurs ayant changé, pas celle de Carlo ». Carlo Molinari, peut-être surtout, est Mosellan, Lorrain, fier de cette terre, autant qu’il est Grenat. Ambassadeur. Il raconte, non sans humour, que les Grenats en 1e division, par conséquent très exposés médiatiquement, ont agi efficacement pour qu’on ne prononce plus Metze mais Mess. Le 11 mai 1984, lors de la finale de la Coupe de France, avant que Metz l’emporte sur Monaco, Carlo Molinari présente ses joueurs au président de la République. C’est l’époque d’une Lorraine en crise, avec l’effondrement de bastions de la sidérurgie, des mines ou du textile. 10 000 Lorrains sont dans les tribunes du Parc des Princes. Carlo Molinari glisse un mot à l’oreille de François Mitterrand : « Regardez ces gens. Vous savez qu’en Lorraine, on souffre. Je ne sais pas ce que vous pouvez faire mais ce que vous pouvez faire, faites-le ».
« Il a du nez »
Lui aussi, Bernard Zénier, a consacré une large partie de sa vie au foot. Il n’a pas 17 ans lorsqu’il marque son premier but pour le FC Metz contre l’Olympique Lyonnais, le 16 août 1974. Treize ans plus tard, en 1987, il est classé meilleur buteur de Division 1, puis remporte la Coupe de France, toujours avec le FC Metz, l’année suivante. Champion de France en 1984, avec les Girondins de Bordeaux, il rejoint plusieurs fois l’équipe de France, à l’époque de Michel Hidalgo et dans la même équipe que son ami Michel Platini. Plus que du sport, chez les Zénier, le foot tient de la passion, presque de l’idée fixe. Le père de Bernard, Serge Zénier, ainsi que deux de ses oncles, ont évolué dans le foot professionnel. Quand il rencontre pour la première fois Carlo Molinari, Bernard Zénier est encore un gamin : « Je l’ai connu, j’avais 16 ans, quand il venait chez mes parents pour que je signe au FC Metz. Cela fait donc 50 ans que je le connais et il n’a pas changé d’un iota. Vous pouvez appeler cinquante joueurs, ils vous diront la même chose. Je l’apprécie beaucoup, il fait partie de ma vie, de ma famille [Bernard Zénier a épousé la fille de Carlo Molinari, NDLR], mais ça va peut-être vous surprendre, quand on se voit, quand on se voyait quand je jouais, on ne parlait pas de foot ». Bernard Zénier souligne les qualités humaines, et de visionnaire, de Carlo Molinari : « Il était un président qui aimait ses joueurs. En reprenant le club, avec deux de ses amis, il a tout de suite ciblé l’objectif prioritaire : la pérennisation du club en première division. Sur la durée, on ne peut pas avoir que des succès, notamment dans les recrutements, et il s’est sans doute trompé sur certains, mais il a réussi à faire venir des joueurs extraordinaires qui bonifiaient l’équipe, il avait du nez et des réseaux. J’entends dire aujourd’hui : ce n’est plus pareil, l’argent a pris plus d’importance. Mais il faut rappeler que Monsieur Molinari avait le 16e ou 17e budget de la D1 de l’époque, avec des résultats exceptionnels par rapport à ses moyens ». Bernard Zénier plaide pour une nouvelle phase de recrutement de locaux, « aujourd’hui, il n’y en a plus qu’un, Matthieu Udol. J’espère qu’on verra rejouer des gamins du coin ».