Édito
C’est vieux, c’est loin, dix ans peut-être, je croisais Gaspard et j’acquérais la certitude d’une victoire de l’extrême-droite en France. Avec Gaspard, nous nous étions perdus de vue, nous nous retrouvions heureux et nous lamentions en chœur sur tout qui fout le camp. Il me parlait de sa mère, Marie-Pierre, qui collait des affiches pour Giscard et roulait en R16. Je me souviens que la TX bleue de sa daronne avait quand même plus de classe que la TS « caca d’oie » du surgé, Gérard, qu’on appelait en douce « Gégé Ier roi du sifflet ». Gaspard demeurait le plus brillant de notre petit clan, le plus riche il me semble, de surcroît jovial, malin, marrant, un peu anar. Il votait désormais « Marine », parce qu’il en a « marre ». Je l’avais connu plus efficace dans ses démonstrations en cours de sciences-économiques.
J’ai alors pratiqué, pastichant notre classe politique, la méthode du bon docteur Coué. Rien n’y fit, nous y voilà, en 2024, au croisement de chemins, au commencement d’une époque où l’extrême-droite domine, où l’idéologie de l’amnésie triomphe.
La nébuleuse des extrêmes droites, amalgame d’ordre et de désordre – « Tendance politique dure mais concept mou », disait l’historien Michel Winock – balance entre plusieurs mondes, très éloignés de celui de Gaspard : nationalistes, libéraux radicaux ou idéologues d’un État omnipotent, trublions anti-tout, rageurs, racistes, antisémites et nazis-nostalgiques.
En France, la complexité du combat contre l’extrême-droite résulte d’abord de la subtilité de ses communicants. L’habit n’a jamais si peu fait le moine et l’habileté de Marine Le Pen rebat les cartes et brouille les vieilles lectures. Mais à fouiller dans les cuisines de son parti, nous ne voyons pas le naturel revenir au galop, il n’est jamais vraiment parti.
Quand Jordan Bardella, filé par Dupont et Dupond, Éric Ciotti et Laurent Wauquiez, cogne les Sages du Conseil constitutionnel après un examen pourtant régulier de la loi immigration, il s’inscrit dans une vieille tradition de l’extrême-droite, « balayer les institutions », formule du général Boulanger, figure de l’extrême-droite française du XIXe siècle.
Sous un énième diktat moral de l’extrême-droite et des europhobes de tous poils, les élections européennes de juin s’apparenteront à une foire d’empoigne franco-française, un galop d’essai avant la présidentielle de 2027. Pourtant, jamais depuis 1945, l’Europe rempart, garante de paix et d’une forme de stabilité, n’a été si menacée. Il faudrait que j’en parle au grand-père de Gaspard…!