Aujourd’hui, la pénurie de main-d’œuvre n’est pas la première préoccupation des entreprises des travaux publics mais elle pourrait très vite le devenir comme l’explique Thierry Ledrich, le président de la Fédération des Travaux Publics de Lorraine qui représente 380 entreprises employant 12500 salariés.
Quel est l’impact de la pénurie de main-d’œuvre dans les Travaux Publics ?
Je ne vous aurais pas fait la même réponse il y a deux ou trois mois mais, aujourd’hui, si la pénurie de main-d’œuvre est une préoccupation, ce n’est pas le premier de nos problèmes. Actuellement nous devons composer avec la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières ainsi que des difficultés d’approvisionnement qui font que les affaires tournent au ralenti. Le nombre d’appels d’offre (la commande publique représente 70% de l’activité des TP, ndlr) est en recul d’environ 8% et bon nombre de nos clients repoussent les investissements dans l’espoir de jours meilleurs. C’est donc une période compliquée (après deux années difficiles, ndlr), d’autant plus que les entreprises n’ont guère de visibilité. Elles ne savent pas si elles doivent se préparer à embaucher ou à licencier. Mais si demain le contexte s’améliore, il est certain que la pénurie de main-d’œuvre sera très vite un très gros souci, compte tenu du regain d’activité mais pas uniquement.
Quelles sont les autres raisons ?
Tout d’abord une pyramide des âges qui fait que les départs à la retraite vont être nombreux notamment chez les dirigeants d’entreprise. Ensuite car nous assistons à un phénomène nouveau avec une hausse des démissions. Des collaborateurs quittent aujourd’hui nos métiers avec pour ambition de changer de vie, de développer des projets dans d’autres univers. Il n’y a pas si longtemps, nous étions à l’équilibre avec une arrivée pour un départ. On se rapproche d’une arrivée pour deux départs. Mais ce qui va véritablement changer la donne en matière d’activité et d’embauche, et s’accompagner de grandes difficultés en matière de recrutement, ce sont les décisions prises en matière de transition écologique, en faveur de la neutralité carbone pour 2050.
Que voulez-vous dire ?
Avec le cabinet Carbone 4 et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la FNTP (Fédération nationale des travaux publics) a réalisé une grande étude qui met en lumière que 50% des émissions de gaz à effet de serre sont générées par l’usage des infrastructures : autoroutes, routes, réseaux (eau, gaz, électricité…). L’usage de ces dernières représente donc la moitié du programme de décarbonation de la France, autant dire qu’il n’est pas possible de faire l’impasse compte tenu des ambitions affichées. Agir implique d’investir 20 milliards d’euros par an – soit une hausse de plus de 40% du CA des entreprises TP-, au cours des 10 ans à venir. Que décide le gouvernement ? Nous avons besoin d’un cap, de connaitre la vision.
Les TP séduisent les jeunes ou cela reste « compliqué » ?
Les TP comme l’apprentissage pâtissent encore d’une image négative d’où la nécessité d’agir en direction des jeunes mais aussi des parents, des écoles ou même des conseillers Pôle emploi, pour leur présenter nos métiers et leurs réalités. Nous travaillons avec différents partenaires pour ce faire. Avec des résultats localement puisque la fréquentation des CFA progresse, notamment à Montigny-lès-Metz, centre qui a bénéficié d’une importante rénovation. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que les messages passent et que les regards changent. Un exemple tout simple : la grande majorité des jeunes qui se lancent dans la mécanique vont travailler dans des garages automobiles plutôt que d’opter pour la réparation d’engins TP alors que les salaires y sont 50% supérieurs et que, compte tenu des besoins, un jeune qui bénéficie de 4 ou 5 ans d’expérience peut déjà passer chef d’atelier. Nous nous adressons également aux publics prioritaires ou sans qualification partant du principe que le plus important c’est le savoir-être et la motivation. Tout le reste s’apprend. Le GEIQ BTP Lorraine (Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification) aide ainsi nos entreprises à répondre à leurs clauses d’insertion (dans les marchés publics) en formant, chaque année, des dizaines de personnes éloignées de l’emploi. Nous déployons aussi des actions afin d’attirer davantage de filles qui ont toute leur place dans les TP.