Élu à la tête de la principale obédience maçonnique française, l’économiste messin Pierre Bertinotti place la défense de la République et de la laïcité au cœur de son mandat. Portrait d’un homme de convictions.
À bientôt 73 ans, Pierre Bertinotti a été choisi par 27 voix sur 37, lors du 160e convent du Grand Orient de France réuni à Bordeaux. Il succède à Nicolas Penin pour un mandat d’un an. Son élection s’est imposée dès le premier tour, confirmant la confiance des conseillers de l’Ordre dans son expérience.
Le Grand Orient de France (GODF) est la plus ancienne obédience maçonnique française, fondée en 1728. Avec environ 55 000 membres répartis dans 1 400 loges, elle incarne une franc-maçonnerie libérale et adogmatique, généralement classée à gauche.
Un Messin aux racines solides
Né à Metz, Pierre Bertinotti a suivi un parcours académique prestigieux : diplômé de Sciences Po Paris, d’HEC et de l’École nationale supérieure des postes et télécommunications. Haut fonctionnaire au ministère des Finances, il a travaillé auprès de Pierre Bérégovoy comme conseiller technique avant de devenir contrôleur général économique et financier.
Il a siégé, par ailleurs, au conseil municipal de Metz entre 2001 et 2008. Dans sa ville natale, il a même un temps envisagé une carrière politique plus poussée. En 2007, il participe aux primaires socialistes pour la mairie, mais c’est finalement Dominique Gros qui est désigné tête de liste. Dans la foulée, il rejoint la liste de Jean-Marie Rausch, maire centriste sortant, avant de se retirer de la scène politique locale.
Un engagement maçonnique depuis 2003
Initié à la loge Saint-Jean au Temple de la Paix à Metz, Pierre Bertinotti est franc-maçon depuis plus de vingt ans. Son parcours au sein de l’obédience témoigne d’un engagement constant. Dès 2016, il participe aux travaux du convent en tant que délégué et prit rapidement des responsabilités nationales. Entre 2019 et 2022, il présida la Commission conventuelle du budget. En 2023, il est élu Grand Trésorier de l’Ordre, fonction qui l’a placé au cœur de la gouvernance financière du GODF.
Professeur d’économie et consultant
En parallèle, Pierre Bertinotti enseigne l’économie à CentraleSupélec depuis 2009 et à l’Université de Lorraine depuis 2016. Son expertise académique nourrit ses réflexions maçonniques, notamment sur les grands enjeux économiques et sociaux.
Il est également à la tête d’une société de conseil en stratégie et formation, Theetete Concept SAS. Cette activité illustre sa volonté de transmettre et de décrypter les mutations contemporaines, qu’il s’agisse de l’économie mondiale ou des transformations liées au numérique.
Une vision tournée vers la République et la laïcité
Dans son discours d’investiture, le nouveau Grand Maître a insisté sur la défense de la République et de la laïcité. « Ce sera le fil rouge de mon mandat », a-t-il affirmé. Il entend promouvoir la liberté absolue de conscience, la tolérance et l’ouverture vers la société civile.
Pour dissiper les fantasmes qui entourent la franc-maçonnerie, Pierre Bertinotti mise sur des engagements concrets. Il cite notamment le bénévolat auprès des Restos du Cœur ou l’investissement local en tant que conseiller municipal.
Refonder le pacte social face aux nouveaux défis
Pierre Bertinotti place son mandat dans un contexte de crises multiples : fragilisation des mécanismes de solidarité, défis environnementaux, montée de la pauvreté et bouleversements liés à l’intelligence artificielle. Selon lui, ces enjeux nécessitent une « refondation du pacte social ».
Le GODF a toujours été un lieu de réflexion et de débat sur les grandes questions de société : laïcité, environnement, questions sociales et éthiques. Sous son mandat, l’obédience devrait renforcer encore sa dimension citoyenne et son rôle d’aiguillon démocratique.
Une continuité dans la gouvernance
Son élection s’inscrit dans une certaine continuité. Depuis plusieurs années, le GODF a confié ses rênes à des personnalités issues de l’appareil interne, gages de stabilité. Pierre Bertinotti, avec ses compétences économiques et son expérience institutionnelle, apparaît comme l’homme du consensus.
Certains observateurs estiment que sa maîtrise des finances internes pourrait également contribuer à assainir la gestion de l’obédience. Sa rigueur et sa pédagogie sont perçues comme des atouts pour diriger une organisation complexe et décentralisée.
Un mandat d’un an pour un héritage durable
Le mandat de Grand Maître n’excède jamais un an, mais la trace laissée peut être durable. En plaçant au centre la laïcité, la République et l’ouverture vers la société, Pierre Bertinotti entend poursuivre la modernisation du Grand Orient de France.
À l’heure où la franc-maçonnerie fait face à des défis d’image et de renouvellement générationnel, ce choix pourrait renforcer le lien entre loges et société civile. Sa présidence s’annonce comme celle d’un pédagogue attentif, soucieux d’inscrire l’action maçonnique dans la cité.
Une figure visible d’une organisation discrète
Le GODF demeure une organisation aux rituels secrets, où l’anonymat demeure la règle. Pierre Bertinotti fait figure d’exception en assumant publiquement ses responsabilités. Son parcours universitaire, administratif, politique et maçonnique illustre un engagement au croisement du savoir et de l’action publique.
Avec cette élection, le Messin rejoint la courte liste des personnalités connues de la franc-maçonnerie française. Son défi sera d’incarner un ordre souvent méconnu et de montrer que la franc-maçonnerie libérale et adogmatique peut être force de proposition face aux bouleversements du XXIe siècle.
La Moselle, terre maçonnique
L’élection de Pierre Bertinotti confirme une singularité : la Moselle occupe une place notable dans l’histoire récente du Grand Orient de France. En 2018, Jean-Philippe Hubsch, courtier d’assurances exerçant à Thionville, avait été élu Grand Maître de l’obédience. L’année suivante, en 2019, il fut même réélu à l’unanimité pour un second mandat. Initié à Metz en 1992, il rappelait alors que « toute sa vie se situait en Moselle », entre activités professionnelles et engagements maçonniques. Cette réélection avait marqué un précédent rare dans l’histoire du GODF. Avec Pierre Bertinotti, c’est donc à nouveau un Mosellan qui prend la tête de la plus importante obédience maçonnique française.