L’État a autorisé l’Alsace a impliqué le principe pollueur-payeur via une écotaxe poids-lourds. Initiative louable si ce n’est qu’en refusant de l’accorder à la Lorraine, une partie du trafic routier va se détourner pour emprunter l’A31 avec pour conséquences de compliquer encore un peu plus la circulation, de dégrader l’environnement et l’autoroute elle-même.
Feu vert. Le projet de loi ratifiant trois ordonnances relatives aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), a été définitivement adoptée le 17 février dernier. La CeA va donc pouvoir instaurer une écotaxe poids-lourds sur l’autoroute A35 à compter de 2024, la CeA et l’Eurométropole de Strasbourg ayant obtenu la propriété des routes et des autoroutes non concédées du territoire. C’est l’aboutissement d’un long processus lié au fait qu’en 2005, l’Allemagne a instauré une écotaxe. Ce qui a engendré un report de plusieurs milliers de poids-lourds sur les routes alsaciennes qui sont… gratuites. Frédéric Bierry, président de la CeA, évoquait 12.000 poids-lourds, par jour, au Parisien, en juin dernier. Il importait donc, à ses yeux, de réagir. Les 2 ans à venir seront mis à profit pour préciser les modalités d’application de la taxe, sa date d’entrée en vigueur et son montant. L’un des dossiers « chauds » consiste aussi à savoir comment faire en sorte que cette taxe qui devrait concerner tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes, ne pénalise pas les transporteurs routiers locaux, en sachant qu’il n’est pas possible de les en exonérer, les règles européennes imposant une égalité de traitement. Il va donc falloir négocier des « contreparties ».
Si la démarche alsacienne en faveur de l’environnement est louable, les Lorrains n’apprécient guère puisque cette écotaxe devrait avoir pour conséquence d’opérer un report du trafic sur l’A31 puisqu’elle est gratuite. De quel ordre ? Dans une motion adoptée en mai dernier en faveur d’une régionalisation de l’écotaxe, l’Eurométropole de Metz indiquait que « 8.000 à 20.000 camions transitent chaque jour sur l’A35 entre Strasbourg et Belfort. Si la moitié du chiffre le plus bas, soit 4 000 camions, viennent sur l’A4 à partir de Forbach, puis sur l’A31 vers Metz et Nancy ou directement depuis le Luxembourg, ce sera un poids lourd supplémentaire toutes les vingt secondes, de jour comme de nuit ». Et cela alors que l’axe est déjà saturé avec environ 100.000 véhicules par jour. L’attrait sera d’autant plus vif pour les transporteurs routiers qu’emprunter l’A31 permettra aux routiers de faire le plein de carburant au Luxembourg comme il y est moins cher qu’en France. Au Grand-duché, François Bausch, le ministre de la Mobilité a d’ores et déjà fait savoir dans la presse luxembourgeoise qu’il suivait le dossier de près. Pour éviter ce report de trafic (et les nuisances qui l’accompagnent), il aurait fallu que la Lorraine obtienne elle aussi le droit de mettre en place l’écotaxe et qu’Alsaciens et Lorrains travaillent de concert de manière à se coordonner. Les sénateurs socialistes Olivier Jacquin et Jean-Marc Todeschini ont fait des propositions en ce sens mais leur amendement a été retoqué. La sénatrice Catherine Belrhiti s’est également mobilisée. Bon nombre d’élus mosellans et meurthe-et-mosellans sont aussi montés au créneau ces derniers mois pour réclamer une écotaxe sur l’A31 ou « régionale » (voir ci-contre). La chose politique (et le lobby alsacien) fait qu’il en est autrement.
Et maintenant ?
Si les Alsaciens ont du pain sur la planche, les élus lorrains et la Région n’entendent pas restés les bras croisés car si l’écotaxe en Lorraine n’est pas pour tout de suite, elle pourrait devenir réalité dans quelques années, la loi évoluant. Le 9 février dernier a été adoptée la loi dite « 3DS », relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale. En ce qui concerne le transport, le texte autorise le transfert de la gestion de routes nationales et d’autoroutes (non concédées) aux départements, métropoles mais aussi aux régions volontaires. Autre point : l’article 32 de la loi Climat indique quant à lui que les régions pourront créer des « contributions » pour les véhicules de transport routier de marchandises « dans le but de permettre une meilleure prise en compte des coûts liés à l’utilisation des infrastructures routières ». Ces textes ne signifient en rien que la Région obtiendra ce qu’elle convoite (et comme elle l’entend) mais elle a davantage de marges de manœuvres. Cela n’a échappé à personne, des élections sont également à venir.
L’union sacrée en Lorraine
Mathieu Klein le président de la Métropole du Grand Nancy et maire de Nancy, Patrick Weiten, le président du Département de la Moselle, Chaynesse Khirouni, présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, Jean Rottner, le président de la Région… Ces élus et bien d’autres encore se sont déclarés en faveur d’une écotaxe régionale ou en tout cas sur l’A31. En mai dernier, François Grosdidier, le maire de Metz et président de l’Eurométropole de Metz avait également fait voter une motion demandant explicitement « la mise en place d’une écotaxe au niveau de la Région Grand Est, seule mesure assurant une équité territoriale de traitement entre les différents territoires, et seule de nature à équilibrer les flux entre les différentes infrastructures routières régionales ». La collectivité lançait aussi un appel aux parlementaires de la Région Grand Est, « afin que cette mesure soit examinée au plus vite au Parlement via un véhicule législatif tel que le projet de loi ‘Climat et résilience’, actuellement en discussion ». Pierre Cuny, le maire de Thionville et président de la Communauté d’agglomération Portes de France-Thionville, avait adopté une motion comparable en juillet.