Sylvain Kastendeuch occupe une place singulière dans le football français. Fort de 578 matchs de Première division et d’un parcours exemplaire, il revient dans Derrière le masque sur une carrière marquée par l’exigence, la loyauté et un sens aigu des responsabilités, sur le terrain comme en dehors. Entretien.
Si vous n’aviez pas été recalé pour insuffisance physique lors de la sélection minimes d’Alsace, pensez-vous que votre parcours vous aurait mené vers une carrière au Racing plutôt qu’à Metz ?
Oui, mon arrivée à Metz en section Sports-Études du Lycée Robert Schuman est consécutive à mon échec en sélection des minimes d’Alsace. Si ce sélectionneur m’avait retenu, je serais resté côté alsacien, avec le Racing club de Strasbourg en point de mire. Je ne regrette évidemment pas cet échec à 13 ans, il m’a obligé à trouver les ressources pour rebondir, tenter ma chance en Lorraine, afin de réaliser ce rêve d’enfant que j’avais de faire du foot tous les jours de ma vie…
Dans votre récit, on perçoit une certaine distance – parfois des critiques – vis-à-vis de l’enseignement en Pôle Espoirs. Pourquoi ne pas avoir souhaité vous engager davantage dans la formation des jeunes ?
J’ai traversé avec bonheur mais aussi beaucoup de difficultés ces années de formation au lycée Schuman et ensuite au centre de formation du FC Metz : je n’ai jamais eu cette vocation de devenir éducateur ou entraineur, par besoin de stabilité, mais aussi parce que ma reconversion s’est faite naturellement et rapidement à la fin de ma carrière, avec mon engagement à l’UNFP et à la Ville de Metz.
Votre livre est préfacé par Robert Pirès, qui vous qualifie de “grand frère”. Mais on y trouve aussi une postface du général Pierre de Villiers, ancien CEMA (Chef d’État-Major des Armées), alors qu’un épisode de Service national vous avait empêché de disputer Barcelone-Metz en 1984. Cela ne vous a jamais laissé de rancœur ?
(Sourires…) Rencontre exceptionnelle que celle du Général Pierre de Villiers, grand Homme, passionné de foot, supporter du FC Nantes, et complice du mouvement Positive Football que j’avais fondé au syndicat pour favoriser et multiplier l’engagement sociétal des joueuses et joueurs de foot. Et mon année de service militaire au Bataillon de Joinville restera un souvenir très positif et compense largement le fait d’avoir raté Barcelone-Metz.
Vous apportez des explications franches dans cet ouvrage, parfois au risque de bousculer certaines figures du football. Notamment Michel Platini, alors nouveau sélectionneur, qui a figé votre compteur à neuf sélections… Comment avez-vous vécu cette mise à l’écart ?
C’est le regretté Henri Michel qui m’a fait confiance pour mes premières sélections en Équipe de France A, et Michel Platini, qui lui a succédé, m’a en effet rapidement évincé. Je ne correspondais pas aux qualités, principalement physiques, qu’il attendait d’un défenseur central.
Vous évoquez aussi Jean-Michel Larqué, dirigeant stéphanois sur une courte période, dont les décisions ont sonné la fin de votre aventure à Saint-Étienne. Avec le recul, comment jugez-vous cet épisode ?
Alors là, c’est d’une véritable injustice dont on peut parler. Dans le livre je mets tous les détails de l’histoire ; il a été incorrect à mon égard. Les supporters stéphanois m’en parlent encore aujourd’hui. J’étais très proche du président André Laurent qui a fait les frais d’une guerre de gouvernance à la tête de l’ASSE.
Vous avez été un adjoint au maire de Metz très impliqué et efficace. Pourquoi ne pas avoir poursuivi une carrière politique ?
Ça été une formidable expérience au sein d’une belle équipe autour de Jean-Marie Rausch et les responsabilités liées au mandat d’adjoint chargé des sports et de la jeunesse m’ont permis de réaliser de belles choses pour le sport et la jeunesse messine. Je n’ai pas poursuivi parce que mon engagement parisien à l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP) ne me laissait pas suffisamment de temps pour concilier les deux fonctions.
Vos lecteurs seront peut-être surpris par l’absence de développements sur votre action à la tête de l’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels), pourtant saluée par la presse nationale et par le milieu du football. Pourquoi avoir choisi de rester discret sur ce chapitre ?
Vous savez, je n’étais pas, jusqu’à ce livre, de nature à m’exposer ou me vanter de mes activités, préférant plutôt agir que parler. L’essentiel, comme toujours, est d’avoir tout donné. Ce Derrière le masque est mon testament sportif mais je n’aborde pas ma deuxième vie professionnelle. Dans un volume 2 peut-être ?
Comment analysez-vous la jeune génération de joueurs, dont certains semblent fragilisés par des entourages peu recommandables et attirés avant tout par l’argent, le paraître ou les réseaux sociaux ?
Il y a toujours de très bons jeunes, passionnés et travailleurs, à qui il faut transmettre les valeurs du sport. Ils sont à l’écoute pour ces messages, mais aujourd’hui, c’est souvent leur entourage qui pose problème et qui les influence dans le mauvais sens.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le FC Metz, sur sa place dans le paysage du football français et sur l’action de Bernard Serin ?
J’ai de l’admiration pour l’engagement du président Serin que je connais depuis longtemps. Beaucoup sont ingrats à son encontre, ne réalisant pas les moyens nécessaires aujourd’hui pour figurer en L1 ou même en L2. Il aime le foot et les joueurs, et met tous ses moyens au bénéfice du club. Le club a grâce à lui rattrapé son retard structurel (stade et complexe d’entrainement à Frescaty). Le sportif, au vu de la concurrence, devient aléatoire…
Propos recueillis par Philippe Grégoire
Forgé par la rigueur

Sylvain Kastendeuch est une figure à part dans le football français et international. Avec 578 matchs de Première division, il se situe à quelques encablures du record détenu par Alain Giresse (587). Libéro emblématique, il incarne pleinement l’esprit grenat. Son pal-marès parle pour lui : deux Coupes de France, une Coupede la Ligue, un titre de vice-champion de France, le tout sans jamais recevoir un carton rouge au cours de sa carrière.
Dans son livre de mémoires, Derrière le masque (éditions des Paraiges), coécrit avec le journaliste Pierre Théobald, il revient sans détour sur un parcours exemplaire, mais aussi sur ces fêlures invisibles qui accompagnent les vies sportives au plus haut niveau.
Ce livre reflète l’homme, le footballeur et l’adjoint au maire : sérieux, professionnel, exi-geant avec lui-même, avançant toujours selon des objectifs clairement définis. Partisan naturel de « l’entraînement invisible », bien avant que le concept ne soit théorisé, il a adopté une hygiène de vie stricte et s’est appuyé sur des qualités physiques qui lui ont permis de disputer plusieurs saisons complètes en championnat – 38 matchs, 90 minutes – sans blessure, sans remplacement et sans carton rouge.
Un autre aspect marquant du récit est le sens des valeurs qui traverse chaque page : l’importance de la famille, le respect des formateurs et des dirigeants, le goût de l’effort, l’amitié, la camaraderie. On retrouve, dans l’écriture même, l’élégance qui l’a toujours ca-ractérisé sur le terrain. Même lorsqu’il revient sur cet épisode d’un Nîmes-Saint-Étienne où il fit « perdre son sang-froid » au jeune Cantona, il le fait sans animosité. L’attaquant, agacé par un marquage serré, fut exclu et écopa de deux mois de suspension. Déçu, il partit en Angleterre où il construisit ensuite la carrière que l’on connaît… P. Grégoire






