ÉDITO
« Toutes les tentatives de récupération politicienne de l’affaire Lola, forment une insulte à la famille de cette jeune fille dont la dignité dans l’épreuve n’éveille qu’un seul sentiment : le respect. »
Je scrute ma mémoire et je vois qu’il y a longtemps que je n’avais pas lu un propos si indécent. En lettres blanches sur un calicot noir : « L’immigration tue ». Le slogan ouvre une manifestation présentée comme un hommage à Lola, assassinée le 14 octobre dernier à Paris. La principale suspecte du viol et du meurtre de cette jeune fille, perpétrés dans des conditions épouvantables, est une femme immigrée. L’immigration, donc, tue. Conclusion terrifiante, élaborée à la hâte, à l’issue d’un tout petit voyage, dans de tout petits cerveaux, conduisant trop vite de la cause à la conséquence.
Les affaires criminelles, surtout les plus sordides, mènent sur des chemins escarpés et révèlent toujours l’extrême complexité de la nature humaine. Faire état de cette vérité mille fois éprouvée n’excuse en rien les auteurs de ces faits. Cela ne change rien au bien-fondé des appels à une justice implacable, ni à la sincérité des émotions qu’un tel crime suscite. Des personnes honnêtement affectées par le meurtre de Lola défilent dans ces manifestations. Elles sont victimes des organisateurs, profiteurs et cyniques, dont l’intérêt et l’objectif sont la mise en état de peur de la société.
La justice, celle qui protège les plus faibles et nous préserve tous de l’arbitraire, obéit à des règles simples. Elle requiert le temps et la sérénité, celle qu’on attend plus que jamais quand parlent des femmes et des hommes que le suffrage universel a désignés.
Conclure que l’immigration tue, après un meurtre commis par une personne immigrée, est d’une même bêtise crasse que l’auraient été des défilés proclamant la religion qui tue, après l’horrible crime commis par le curé d’Uruffe (l’affaire, vieille d’un demi-siècle, se déroule en Lorraine et met en scène un curé assassin de sa maîtresse, mineure, qu’il éventrera ensuite pour extraire le fœtus « à l’aide d’un canif de scout »). Un raccourci aussi bête que l’auraient été des appels à se méfier des chauffeurs de bus, après les meurtres d’Émile Louis, ou de la noblesse, à la suite de la disparition de la famille de Ligonnès, et pourquoi pas des beaux-fils, quand les enquêteurs découvrent la sombre vérité sur l’assassinat d’Alexia Daval.
On ne joue pas avec les blessures de l’âme. Ce calicot, d’une violente noirceur, et toutes les tentatives de récupération politicienne de l’affaire Lola forment une insulte à la famille de cette jeune fille dont la dignité dans l’épreuve n’éveille qu’un seul sentiment : le respect.