On ne saurait la définir d’un mot, ni même d’une phrase. Geneviève est si nombreuse. Patronne des Miss, amie des stars, gauchiste-conservatrice, collectionneuse de coups de gueule, la Lorraine Madame de Fontenay, surtout, a de l’esprit. Et elle est drôle. Récit d’un tête à tête avec une adorable emmerdeuse.
(Article de Vianney Huguenot paru dans l’édition de février 2016 du mensuel L’Estrade)
Elle arrive dans sa petite chiotte, se gare devant la brasserie. En terrasse, tous les yeux n’ont d’yeux que pour elle. La dame au chapeau descend de son petit carrosse à moteur. Elle sourit. Une petite rousse file un coup de coude à sa copine, « Oh, t’as vu, c’est Geneviève de Fontenay ! » « Oh oui, dis donc… », dit l’autre. Geneviève m’embarque dans la brasserie, elle se retourne vers moi : « Comment ça va ? Venez, suivez-moi, on va se trouver une table au fond. Ici, vous savez, je fais partie des meubles. » Je suis son hôte. On s’installe à une table, puis une autre, « Oh non, pas ici, ils sont trop près ceux-là, on ne va pas s’entendre parler… » On finit près de l’escalier qui mène aux toilettes. Elle embraye, illico. Les hauts-fourneaux, la Lorraine où elle est née, sous le nom de Geneviève Suzanne Marie-Thérèse Mulmann, en 1932 à Longwy. « Je comprends la désespérance des gens. » Puis elle tacle, Hollande et Le Pen. Ça, c’est pour les hors-d’œuvre. Je ne sais pas comment nous en arrivons, à cet instant, comme un cheveu arrive sur la soupe, à parler de la polémique sur le Vagin de la Reine en goguette dans les jardins du château de Versailles(1). Geneviève fulmine. « C’est une insulte au château. Qu’on aille mettre ça dans un parking. Il n’y a plus de valeurs, tout part en vrille dans ce pays » Bec et ongles, au contraire, elle défend « ses » émaux de Longwy.
Souvent présentée comme une femme de gauche – encore récemment au micro d’un journaliste de Canal Plus, elle rappelait « j’ai toujours voté à gauche, sauf quand j’ai voté Chirac pour faire barrage à Le Pen » – elle n’en est pas moins difficile à cerner politiquement. Elle aime Arlette Laguillier, certes – « Je peux vous dire qu’il n’y en a pas beaucoup qui votent Arlette à Saint-Cloud » –, elle est fidèle et admirative de l’ex-leader de Lutte Ouvrière, re-certes, mais Geneviève de Fontenay assume tout autant son conservatisme. « Le mariage est l’union d’une femme et d’un homme pour donner la vie. Je propose qu’on institue plutôt un gayriage. Il y a une forme de hold-up sur le mot mariage avec cette loi. » Elle a voté Hollande et le déteste aujourd’hui, « cet homme est un mufle. » Elle moque « Juppé et ses jupettes ». Ségolène Royal ? « Elle se laisse aller. ». Nicolas Sarkozy ? « Insupportable, cet homme, c’est de la comédie. » Puis elle en appelle à Dominique de Villepin, qu’elle verrait bien candidat à la prochaine élection présidentielle. Elle aime son panache, comme elle aimait « le charme et l’élégance de Chirac. Lui, il aimait les gens. » Elle picore dans son assiette et commande un galopin. Le serveur des Deux Obus, brasserie calée à deux pas du Parc des princes, vient s’enquérir de son appétit. Elle le retient : « Dites donc, il y a du monde aujourd’hui, ça marche bien. N’oubliez pas de demander une augmentation au patron. » Délicieuse, déroutante Geneviève de Fontenay, elle ferait perdre la tête au plus rusé des instituts de sondages, perdre le nord à tous les colleurs d’étiquettes qui aiment les pensées rangées. Elle se balade, libre, insoumise, incontrôlable, pétillante. Profonde, aussi, pleine de bon sens et d’esprit. « J’ai peur pour le pape François, j’ai peur qu’un jour on vienne lui coller de la mort aux rats dans son café au lait. »
C’est à peu près vers le dessert que nous avons attaqué le registre des people, ce monde qu’elle connaît, qu’elle aime, qu’elle utilise, et dont elle se méfie. Nous papotons. Nous nous promenons d’anecdotes en anecdotes. Je troque ma fourchette pour mon stylo lorsqu’elle raconte Baffie : « Je participais à une émission d’Ardisson, avec Laurent Baffie. Après l’émission, j’étais dans ma loge, je l’entends dans le couloir… » Baffie sort un truc cru, très cru, un truc à la Baffie quoi, sur Geneviève de Fontenay. Elle sort et l’interpelle : « Dis donc, t’as pas honte, je pourrais être ta grand-mère ! » Sur le champ, excuses de Baffie, puis bouquet de fleurs, et le petit mot qui va avec : « Geneviève, je t’aime en secret. » « Et il a appelé sa petite chienne Geneviève », se marre Geneviève. Depuis, ils sont amis. Elle conserve aussi le souvenir ému du clodo de la gare de Lyon qui la salue chaque fois, respectueusement. Elle envoie des SMS à Drucker quand il a la cravate de travers. Elle dédicace sur les banquettes de taxi. Elle aime Gabin et les caissières de Monoprix, et puis Audiard. Elle est à part. Vraiment, heureusement, indéfinissable.
(1) Le « vagin de la reine » est une sculpture réalisée par l’artiste britannique Anish Kapoor
L’adieu aux Miss
Le 16 janvier dernier, dans un cabaret de Soultzmatt (67), à l’occasion de l’élection de Miss Prestige National, Geneviève de Fontenay a tiré sa révérence. Elle a mis fin à une carrière exceptionnelle, parsemée de strass, de coups de cœur et de coups de théâtre. Après ses années lorraines, à Longwy et Hagondange, où son papa était ingénieur des Mines, la jeune Geneviève, aînée de la grande famille Mulmann, rejoint Paris. Nous sommes au début des années cinquante. Elle est mannequin chez Balenciaga et se voit couronnée, en 1957, du titre de Miss Élégance. C’est ici qu’elle rencontre Louis Poirot, délégué général du comité Miss France, son futur mari. Louis décède au début des années 80. Geneviève reprend alors le flambeau. L’aventure des Miss s’incarne plus que jamais. Geneviève de Fontenay est l’icône, et l’élection annuelle de Miss France est un incontournable des grands rendez-vous populaires télévisés. Avec Endemol, les relations ne seront pas toujours au beau fixe. C’est d’ailleurs suite à un conflit avec cette société de production de programmes télés (notamment pour le groupe TF1) qu’elle part mener l’aventure des autres Miss, les Miss Prestige National, dont beaucoup doutent aujourd’hui de leur capacité à durer. Il manquera en effet l’aura, l’entregent, la réputation et la faconde de Geneviève de Fontenay pour que Miss Prestige fasse face au rouleau compresseur Endemol-TF1-Miss France. Celle qui reste la maman des Miss, toutes Miss confondues, goûte peu cette soupe interne. Geneviève – vous permettez que je vous appelle Geneviève ? – préfère conserver les souvenirs et l’image d’une grande famille. Avec tout ce que la famille peut charrier de sentiments contraires, d’amour et de tension. Depuis quelques jours, Madame Miss-France éternelle court les plateaux de télé, comme pour savoir si on l’aime encore… Mais oui, on vous aime, Geneviève !