Elle a beau cultiver la discrétion, Oriane Alaphilippe est un peu partout à la fois. Musicienne et ébéniste, cette autodidacte nourrit aussi son émerveillement de chaque instant dans la confection de tableaux. Pour lesquels elle a développé une technique aussi personnelle qu’épatante.
Son sourire éclatant ne semble ne jamais la quitter – de ceux qui masquent généralement beaucoup de pudeur, Oriane Alaphilippe a le regard qui pétille. Celui des personnes qui s’enthousiasment de tout. Des rencontres comme de tout ce qu’elle entreprend. Sans malice aucune. Juste une manière de souligner qu’elle se sent à sa juste place, qu’elle assume spontanément ses choix de vie. Fussent-il nombreux. Et quelque peu disparates. Au point de pouvoir désarçonner ceux qui seraient tentés d’y voir autre chose qu’une simple soif de création, qu’un élémentaire besoin de façonner, de laisser ses mains s’exprimer à travers la matière. Que ce soit le bois, les cordes de sa basse et de sa contrebasse, ou le papier journal. Juste « pour concrétiser quelque chose. » Les mêmes qui la taxent depuis plus de vingt ans d’hyperactive. « Je vis. En écartant soigneusement toute possibilité de lassitude, toute occasion de m’essouffler. J’ai depuis longtemps accepté l’idée de combiner plusieurs activités, de sortir du carcan conventionnel. »
À tout juste 40 ans, cette native de Phalsbourg cumule assez d’expériences pour nourrir la vie de plusieurs personnes. Après une enfance presque banale, où seul le sport parait capable de canaliser une énergie débordante, l’adolescence agit en détonateur, l’obtention du bac en guise de sauf conduit d’émancipation. Elle découvre la guitare avec sa sœur. Devient scénographe à Lyon auprès de compagnies de théâtre. Mais ce monde ne lui convient pas. « Mon côté naïf sans doute. l’ego prononcé de certains empiétait sur ma sérénité. J’aime les contacts fluides, c’est peut-être pour cela que je préfère souvent la compagnie des enfants. » Qu’à cela ne tienne, elle devient ébéniste d’art, fabrique des meubles et fait de la décoration d’intérieur. En recherchant parfois une stabilité matérielle dans des professions diverses et variées : éducatrice spécialisée, aide à domicile…
Tout en menant une vie de musicienne multi-instrumentiste, du Quartet en l’air avec sa sœur au duo de jazz Ollybird. Dans l’ombre des autres de préférence – même si elle avoue préparer son premier album pour juin prochain. On la voit depuis quelques années aux côtés d’Alice Arthur ou de Thierry Cordier sur son projet Tableau Noir. Elle donne même à l’occasion des cours de guitare « dans une approche sans solfège mais avec humour. »
En 2017, nouveau déclic. Elle dessine depuis toujours mais « j’ai besoin de toucher la matière. Même le crayon ou le pinceau sont des intermédiaires de trop. » Elle décide de faire un tableau original pour faire un cadeau à un couple d’amis, à base de collages. Chez elle traine des monceaux de journaux et d’exemplaires de l’Est républicain accumulés jadis par sa grand-mère. « J’adore l’idée que rien ne se perd, une forme de développement durable. J’utilise des fonds de colle de mon travail d’ébéniste et je trouve mes toiles à la déchetterie. » L’accueil reçu par ses premiers portraits d’après photos l’encourage à poursuivre. Les commandes s’enchaînent, son étonnante technique se perfectionne. Essentiellement en noir & blanc même si elle s’essaye depuis peu à la couleur avec des voitures vintage ou un voiler sur une mer houleuse. « J’y travaille plus sur les effets de textures, pour retrouver un côté métallique, l’effet d’une vitre, le mouvement. » Portraits d’artistes connus (Bowie, Gainsbourg…), animaux, les thèmes sont souvent figuratifs. « J’aime travailler les expressions ».
Chaque tableau nécessite une centaine d’heures de travail, du découpage (« je déchire à la main ») d’infimes morceaux où parfois ne subsiste qu’une ligne, une phrase ou un mot à la touche finale. Le résultat est bluffant jusqu’au moindre détail.
Cette activité peut-elle prendre le pas sur les autres ? « Surtout pas ! J’ai confectionné mon cercle vertueux : les ventes de tableaux financent mes outils d’ébénisterie, mes meubles mes instruments de musique et ainsi de suite, » avoue-t-elle dans un éclat de rire.
Rien ne semble devoir figer le mouvement de cette femme de création.
Exposition à la médiathèque de Longwy du 22 février au 22 mars