ÉDITO
« On oublie que cette République imparfaite mais lumineuse, à tout instant, peut nous échapper »
J’aime bien les Corses, que les choses soient claires. J’aime leur sens de l’accueil, leurs polyphonies, leur langue, leur culture, leur histoire, leurs charcuteries et panoramas exceptionnels. Plus sceptique sur leur demande d’indépendance ou d’autonomie, je me verrais bien impuissant si, par une grossière erreur de casting, le ou la prochain(e) Premier(e) ministre m’appelait à Beauvau. J’y mettrais tout de même du cœur à l’ouvrage, je réunirais sur le champ mes collaborateurs, leur offrirais l’apéro et quémanderais les avis sur la nuance entre autonomie et indépendance. Pour l’heure, mon diagnostic est flou, je reste amarré à une idée fixe : l’autonomie, en gros, c’est l’indépendance sans les emmerdements. Mais je peux me tromper. J’aime beaucoup moins leurs démonstrations de force, tous de noir vêtus, jusqu’au bout de lunettes. L’habit ne fait pas le rebelle. Et l’insularité et les désirs de sécession n’excusent pas tout. A ce compte-là, vous me permettrez de ne plus m’étonner de rien, et d’imaginer qu’un jour viendra où un quarteron d’étudiants messins désœuvrés décrétera l’île du Saulcy libre et indépendante.
Soyons sérieux un instant. La Corse, après l’assassinat d’un des siens, Yvan Colonna, montre une nouvelle fois son visage obscur. Que les uns pensent que « le berger de Cargèse » n’était pas l’assassin du préfet Claude Erignac, est un droit (il n’est d’ailleurs pas interdit d’imaginer qu’ils ont peut-être raison). En revanche, que d’autres, y compris les élus de la Collectivité de Corse, donc de la République française, appellent à la mise en berne des drapeaux forme une injure. Organiser des haies d’honneur pour celui qui fut condamné à la perpétuité, à trois reprises, pour l’assassinat de Claude Erignac représente une insulte à la République, à la mémoire de ce préfet, à la douleur de sa famille. La République est belle aussi parce qu’elle est fragile. Toute tentative d’assaut et de déstabilisation mérite de fermes condamnations et d’énergiques rappels des principes fondamentaux de la République. Ceux-là mêmes qui nous unissent, nous renforcent et protègent nos libertés. Installés dans nos quotidiens où s’empilent les votes, les débats, les contestations et les manifestations, on oublie que cette République imparfaite mais lumineuse, à tout instant, peut nous échapper.