Vendredi 21 juin 1957 : pas de dénomination de rues à l’ordre du jour du Conseil municipal mais une intervention du conseiller Henri Navel, dans les points divers, sous le titre générique : « Interpellation de Monsieur Navel au sujet de la dénomination de nouvelles voies ». L’occasion d’un débat riche et argumenté sur la volonté de consacrer, sur le plan hodographique, le Général de Gaulle, Jean Moulin et la Libération de Metz dans le secteur gare.
Ce jour-là, Henri Navel voulait honorer le Général de Gaulle (par dérogation, car les règles d’hodographie locales interdisent de consacrer des personnages vivants), la Libération et Jean Moulin. Il interpella ses collègues en ces termes : « La commission artistique doit se réunir jeudi prochain pour faire des propositions de dénominations de nouvelles rues. Or, à plusieurs reprises, j’ai demandé s’il ne serait pas possible, par dérogation ou par un vote du Conseil Municipal, de donner à une des belles rues de Metz le nom du Général de Gaulle. Je connais les objections, et d’un autre côté, on avait pensé à donner à une place de Metz le nom de Place de la Libération. Il faudrait que ce soit une place convenable ; moi j’avais pensé à la place de la gare (dont le nom ne signifie rien du tout) et le nom proposé de place de la Libération m’avait fait penser, en même temps, au soulagement que l’on éprouve, arrivé au terme d’un long parcours, et étant alors las, j’avais pensé au soulagement qu’on éprouve à être libéré du chemin de fer ».
Le Maire Raymond Mondon, dont les actions au sein de la Résistance étaient reconnues, l’interrompt d’un sec : « pas vous ! » Il est parfois des traits d’humour qui font flop. L’intéressé poursuit : « Si. Je suis rentré de Paris ce matin à 3 heures, par le train. Je vous garantis que j’étais heureux de sortir de la gare. Je pense qu’on ferait donc bien de mettre à l’étude cette suggestion de donner à une artère importante de la ville de Metz le nom du Général de Gaulle et à une place de la cité celui de « Place de la Libération ». Et puis il y a autre chose : Jean Moulin a tout de même son acte de décès sur les registres de la ville de Metz. Ne pourrait-on pas trouver, à ce grand patriote que j’ai eu l’honneur de voir une seule fois à Lyon et qui a été donné comme un des modèles de la Résistance, ne pourrait-on pas trouver à Metz une rue digne de porter son nom ? C’était quelqu’un Jean Moulin, personne ne le conteste, même pas ses ennemis politiques. ».
Jean Moulin aura sa place 10 mois plus tard, le 25 avril 1958, devant ce qui était encore à l’époque l’Hôpital Bon Secours. Le Général de Gaulle, lui, connut la consécration hodographique le 20 novembre 1970 (11 jours après sa mort). Non pas à travers une « grande artère », comme le souhaitait Navel, mais carrément place de la gare (que l’intéressé avait proposé en « place de la Libération »). Cette proposition de « place de la Libération » était difficile à prendre en compte, car il existait déjà une « rue de la Libération » à Magny. Les édiles messins ne voulurent pas compliquer la situation.
Cerise sur le gâteau, les deux personnages comptent aujourd’hui sur cet espace de la gare leur propre statue. Le jeudi 10 juillet 2014, à l’occasion du 71e anniversaire de la mort du résistant français, l’œuvre Hommage à Jean Moulin de l’artiste allemand Stephan Balkenhol a été inaugurée dans le hall départ de la gare. Depuis le samedi 20 mars 2021, une statue du Général de Gaulle, œuvre de l’artiste française Elisabeth Cibot, domine le parvis de la place, dans l’axe de la rue Gambetta, afin d’être vue de loin.
On peut donc affirmer que les vœux contenus dans « l’interpellation de Monsieur Navel » sont désormais accomplis.