ÉDITO
On aime dire que le fait-divers fait miroir, qu’il reflète nos malaises, nos instincts, notre façon de faire société, les éruptions d’une communauté quoiqu’on veuille contrainte à vivre sous un même toit. La fameuse rubrique fait-divers devient donc le réceptacle d’observations multiples, de dissections et analyses scientifiques en tous genres, psychiatriques, ethnologiques, urbanistiques, économiques…
Ce constat nous rassure, finalement. C’est ainsi, se dit-on. C’est ainsi que les hommes vivent, ont dit d’autres avant moi. Et il faut bien le raconter dans nos colonnes et sur nos écrans, c’est aussi notre mission. Mais il y a cent façons de dire l’indescriptible, entre le mode Détective, sans filtre, et la manière délicate, presque silencieuse, et respectueuse des victimes.
Et puis un jour arrive le fait-divers – que j’ai du mal à nommer ainsi concernant Sara – qui nous bouleverse plus que d’autres, qui nous traverse, celui qui nous frappe, nous attrape le cœur, nous cogne et nous achemine vers un état de tristesse. Le suicide de la jeune écolière Sara, à Sarreguemines, n’a pas quitté mon esprit depuis le 11 octobre.
Son visage, si doux, si beau, ne m’a pas quitté non plus. Peut-être parce que je fus comme elle, plus rond que la norme. Je tente d’imaginer la souffrance de sa famille, et l’immense blessure de cette jeune fille « victime de moqueries à propos de sa corpulence » (propos du procureur de la République de Sarreguemines le 13 octobre).
Sans commenter une enquête en cours, ni se draper dans un orgueil de « père la morale », on peut rafraîchir nos mémoires et redire des évidences. Par tout ce que nous écrivons, disons et faisons, nous sommes coresponsables d’un monde où la différence est devenue un handicap. Il faut se ressembler à tout prix, tristement se ressembler, comme aiment « les braves gens » de Georges Brassens, qui « n’aiment pas que l’on prenne une autre route qu’eux ».
Nous sommes coresponsables des blessures infligées, par des mots et des gestes qui nous semblent de prime abord insignifiants. De prime abord, seulement. Au final, seront-ils mortels ? « On peut mourir tout doucement – chantait Jean Ferrat – d’une voix froide au téléphone, d’un mot qu’on lance à bout portant, d’une confiance qu’on reprend ». La solitude est un combat et il tue.
Coresponsables, nous le sommes aussi potentiellement par nos silences, quand nous préférons nous taire ou, pire, nous terrer dans le confort de la meute.








