ÉDITO
J’avoue mon admiration pour les éditorialistes promenant imperturbablement leur plume pour vendre des évidences. Naviguant parfois dans ce monde des certitudes, je m’admire donc à l’occasion (c’est très tendance).
Mais me voilà ce matin honteux, incertain, indécis, imbécile. Tandis que j’étais hier favorable au mouvement du 10 septembre, Bloquons tout, j’étais avant-hier carrément contre.
Il faut dire qu’hier, je parlais avec Christine. Mère célibataire avec deux enfants et un petit écran de télévision, elle me racontait qu’elle n’en peut plus des internautes moqueurs des bénéficiaires de l’Allocation de rentrée scolaire courant acheter d’immenses écrans plats alors qu’il y aurait tant à dire sur l’immoralité de milliardaires badigeonnant les magazines de leurs bobines et protégés par des politiques complaisants ou complices. Elle concluait : « Bien sûr qu’il faut tout bloquer, ils ne comprennent que ça ». Le ça, c’est le rapport de force, la confrontation, la castagne si vous voulez.
Il faut dire aussi qu’avant-hier je croisais Catherine. Elle a réalisé il y a cinq ans son rêve, celui d’ouvrir un commerce, heureuse tout en se tirant péniblement un demi-SMIC. Sa boutique fermera dans un mois. Elle concluait : « Cette situation, je la dois en grande partie aux Gilets jaunes qui ont tout bloqué. Ils ne savent pas ce que c’est ». Le c’est, c’est faire vivre une entreprise.
Les ils de Christine et les ils de Catherine sont-ils réconciliables ? La question m’obsède. L’absence de réponse, aussi. Avant, c’était plus simple. En gros, les ils de Christine se groupaient dans un magma hésitant et s’opposaient à une autre masse aléatoire de ils ; bref, les ils composaient des assemblages de nous et nous comptions quelques agrégats plus solides, dont les principaux se nommaient gauche et droite. Aujourd’hui, ils forment des multitudes de je, voire de moi je ; des millions de nous désagrégés, en somme.
Il nous faut aujourd’hui une union du doute et de la certitude. Être bonapartiste et voltairien… si je m’en tiens aux déclarations de ces deux piliers de la légende française. « Le doute est l’ennemi des grandes entreprises », clamait Bonaparte, rejoint par Foch : « À la guerre, c’est celui qui doute qui est perdu ». Quant à Voltaire, il voyait les choses ainsi : « Le doute est un état mental désagréable mais la certitude est ridicule », ce que corroborait ici Aristote : « Le doute est le commencement de la sagesse ». Et la sagesse, peut-être bien, le terreau de l’audace qui, dans sa forme paisible, pacifique et créative, certainement déserte.









